The Project Gutenberg EBook of La Chartreuse de Parme, by Stendhal (#1 in our series by Stendhal) Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the copyright laws for your country before downloading or redistributing this or any other Project Gutenberg eBook. This header should be the first thing seen when viewing this Project Gutenberg file. Please do not remove it. Do not change or edit the header without written permission. Please read the "legal small print," and other information about the eBook and Project Gutenberg at the bottom of this file. Included is important information about your specific rights and restrictions in how the file may be used. You can also find out about how to make a donation to Project Gutenberg, and how to get involved. **Welcome To The World of Free Plain Vanilla Electronic Texts** **eBooks Readable By Both Humans and By Computers, Since 1971** *****These eBooks Were Prepared By Thousands of Volunteers!***** Title: La Chartreuse de Parme Author: Stendhal Release Date: Jan, 1997 [EBook #796] [Yes, we are more than one year ahead of schedule] [This file was first posted on October 21, 2002] [Most recently updated: October 21, 2002] Edition: 10 Language: French Character set encoding: ASCII *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, LA CHARTREUSE DE PARME *** This Etext was created by Tokuya Matsumoto [My apology if I have not presented it properly. Michael Hart] La Chartreuse de Parme by Stendhal [1 of 170 pseudnyms used by Marie-Henri Beyle] LIVRE PREMIER Gia mi fur dolci inviti a empir le carte I luoghi ameni. Ariost, sat. IV. CHAPITRE PREMIER Milan en 1796 Le 15 mai 1796, le g,n,ral Bonaparte fit son entr,e dans Milan ... la t^te de cette jeune arm,e qui venait de passer le pont de Lodi, et d'apprendre au monde qu'aprSs tant de siScles C,sar et Alexandre avaient un successeur. Les miracles de bravoure et de g,nie dont l'Italie fut t,moin en quelques mois r,veillSrent un peuple endormi; huit jours encore avant l'arriv,e des Fran‡ais, les Milanais ne voyaient en eux qu'un ramassis de brigands, habitu,s ... fuir toujours devant les troupes de Sa Majest, Imp,riale et Royale: c',tait du moins ce que leur r,p,tait trois fois la semaine un petit journal grand comme la main, imprim, sur du papier sale. Au Moyen Age, les Lombards r,publicains avaient fait preuve d'une bravoure ,gale ... celle des Fran‡ais, et ils m,ritSrent de voir leur ville entiSrement ras,e par les empereurs d'Allemagne. Depuis qu'ils ,taient devenus de fidSles sujets leur grande affaire ,tait d'imprimer des sonnets sur de petits mouchoirs de taffetas rose quand arrivait le mariage d'une jeune fille appartenant ... quelque famille noble ou riche. Deux ou trois ans aprSs cette grande ,poque de sa vie, cette jeune fille prenait un cavalier servant: quelquefois le nom du sigisb,e choisi par la famille du mari occupait une place honorable dans le contrat de mariage. Il y avait loin de ces moeurs eff,min,es aux ,motions profondes que donna l'arriv,e impr,vue de l'arm,e fran‡aise. Bient"t surgirent des moeurs, nouvelles et passionn,es. Un peuple tout entier s'aper‡ut, le 15 mai 1796, que tout ce qu'il avait respect, jusque-l... ,tait souverainement ridicule et quelquefois odieux. Le d,part du dernier r,giment de l'Autriche marqua la chute des id,es anciennes: exposer sa vie devint ... la mode; on vit que pour ^tre heureux aprSs des siScles de sensations affadissantes, il fallait aimer la patrie d'un amour r,el et chercher les actions h,ro>, et il fit couler cette seconde balle dans le canon de son fusil. Il entendit tirer deux coups de feu tout ... c"t, de son arbre; en m^me temps il vit un cavalier v^tu de bleu qui passait au galop devant lui, se dirigeant de sa droite ... sa gauche."Il n'est pas ... trois pas, se dit-il, mais ... cette distance je suis s-r de mon coup", il suivit bien le cavalier du bout de son fusil et enfin pressa la d,tente; le cavalier tomba avec son cheval."Notre h,ros se croyait ... la chasse: il courut tout joyeux sur la piSce qu'il venait d'abattre. Il touchait d,j... l'homme qui lui semblait mourant, lorsque, avec une rapidit, incroyable deux cavaliers prussiens arrivSrent sur lui pour l, sabrer. Fabrice se sauva ... toutes jambes vers le bois; pour mieux courir il jeta son fusil. Les cavaliers prussiens n',taient plus qu'... trois pas de lui lorsqu'il atteignit une nouvelle plantation de petits ch^nes gros comme le bras et bien droits qui bordaient le bois. Ces petits ch^nes arr^tSrent un instant les cavaliers, mais ils passSrent et se remirent ... poursuivre Fabrice dans une clairiSre. De nouveau ils ,taient prSs de l'atteindre, lorsqu'il se glissa entre sept ... huit gros arbres. A ce moment, il eut presque la figure br-l,e par la flamme de cinq ou six coups de fusil qui partirent en avant de lui. Il baissa la t^te; comme il la relevait, il se trouva vis-...-vis du caporal. - Tu as tu, le tien? lui demanda le caporal Aubry. - Oui, mais j'ai perdu mon fusil. - Ce n'est pas les fusils qui nous manquent; tu es un bon b...; malgr, ton air cornichon, tu as bien gagn, ta journ,e, et ces soldats-ci viennent de manquer ces deux qui te poursuivaient et venaient droit ... eux; moi, je ne les voyais pas. Il s'agit maintenant de filer rondement; le r,giment doit ^tre ... un demi-quart de lieue, et, de plus, il y a un petit bout de prairie o-- nous pouvons ^tre ramass,s au demi-cercle. Tout en parlant, le caporal marchait rapidement ... la t^te de ses dix hommes. A deux cents pas de l..., en entrant dans la petite prairie dont il avait parl,, on rencontra un g,n,ral bless, qui ,tait port, par son aide de camp et par un domestique. - Vous allez me donner quatre hommes, dit-il au caporal d'une voix ,teinte, il s'agit de me transporter ... l'ambulance j'ai la jambe fracass,e. - Va te faire f..., r,pondit le caporal toi et tous les g,n,raux. Vous avez tous trahi l'Empereur aujourd'hui. - Comment, dit le g,n,ral en fureur, vous m,connaissez mes ordres! Savez-vous que je suis le g,n,ral comte B***, commandant votre division, etc. Il fit des phrases. L'aide de camp se jeta sur les soldats. Le caporal lui lan‡a un coup de ba> Il appliquait ses nouvelles connaissances en antiquit,s. Puis il d,tourna la t^te avec d,go-t, les s,v,rit,s de son pSre, et surtout la d,nonciation de son frSre Ascagne au retour de son voyage en France, lui revinrent ... l'esprit. "Cette d,nonciation d,natur,e a ,t, l'origine de ma vie actuelle; je puis la ha> Ce qui ajoutait encore ... son malheur, c'est qu'il ne pouvait parvenir ... trouver la duchesse blfmable."Elle m'a fait une grfce en m'aimant, elle cesse de m'aimer aprSs une faute involontaire, il est vrai, mais qui peut entraOEner une cons,quence horrible; je n'ai aucun droit de me plaindre."Le lendemain matin, le comte sut que la duchesse avait recommenc, ... aller dans le monde: elle avait paru la veille au soir dans toutes les maisons qui recevaient."Que f-t-il devenu s'il se f-t rencontr, avec elle dans le m^me salon? Comment lui parler? de quel ton adresser la parole? et comment ne pas lui parler?" Le lendemain fut un jour funSbre; le bruit se r,pandait g,n,ralement que Fabrice allait ^tre mis ... mort, la ville fut ,mue. On ajoutait que le prince, ayant ,gard ... sa haute naissance, avait daign, d,cider qu'il aurait la t^te tranch,e. "C'est moi qui le tue, se dit le comte; je ne puis plus pr,tendre ... revoir jamais la duchesse."Malgr, ce raisonnement assez simple, il ne put s'emp^cher de passer trois fois ... sa porte; ... la v,rit,, pour n'^tre pas remarqu,, il alla chez elle ... pied. Dans son d,sespoir, il eut m^me le courage de lui ,crire. Il avait fait appeler Rassi deux fois, le fiscal ne s',tait point pr,sent,."Le coquin me trahit", se dit le comte. Le lendemain, trois grandes nouvelles agitaient la haute soci,t, de Parme, et m^me la bourgeoisie. La mise ... mort de Fabrice ,tait plus que jamais certaine; et, compl,ment bien ,trange de cette nouvelle, la duchesse ne paraissait point trop au d,sespoir. Selon les apparences, elle n'accordait que des regrets assez mod,r,s ... son jeune amant, toutefois elle profitait avec un art infini de la pfleur que venait de lui donner une indisposition assez grave, qui ,tait survenue en m^me temps que l'arrestation de Fabrice. Les bourgeois reconnaissaient bien ... ces d,tails le coeur sec d'une grande dame de la cour. Par d,cence cependant, et comme sacrifice aux mfnes du jeune Fabrice, elle avait rompu avec le comte Mosca. - Quelle immoralit,! s',criaient les jans,nistes de Parme. Mais d,j... la duchesse, chose incroyable! paraissait dispos,e ... ,couter les cajoleries des plus beaux jeunes gens de la cour. On remarquait, entre autres singularit,s, qu'elle avait ,t, fort gaie dans une conversation avec le comte Baldi, l'amant actuel de la Raversi, et l'avait beaucoup plaisant, sur ses courses fr,quentes au chfteau de Velleja. La petite bourgeoisie et le peuple ,taient indign,s de la mort de Fabrice, que ces bonnes gens attribuaient ... la jalousie du comte Mosca. La soci,t, de la cour s'occupait aussi beaucoup du comte, mais c',tait pour s'en moquer. La troisiSme des grandes nouvelles que nous avons annonc,es n',tait autre en effet que la d,mission du comte; tout le monde se moquait d'un amant ridicule qui, ... l'fge de cinquante-six ans', sacrifiait une position magnifique au chagrin d'^tre quitt, par une femme sans coeur et qui, depuis longtemps, lui pr,f,rait un jeune homme. Le seul archev^que eut l'esprit, ou plut"t le coeur, de deviner que l'honneur d,fendait au comte de rester premier ministre dans un pays o-- l'on allait couper la t^te, et sans le consulter, ... un jeune homme, son prot,g,. La nouvelle de la d,mission du comte eut l'effet de gu,rir de sa goutte le g,n,ral Fabio Conti, comme nous le dirons en son lieu, lorsque nous parlerons de la fa‡on dont le pauvre Fabrice passait son temps ... la citadelle, pendant que toute la ville s'enqu,rait de l'heure de son supplice. Le jour suivant, le comte revit Bruno, cet agent fidSle qu'il avait exp,di, sur Bologne; le comte s'attendrit au moment o-- cet homme entrait dans son cabinet; sa vue lui rappelait l',tat heureux o-- il se trouvait lorsqu'il l'avait envoy, ... Bologne, presque d'accord avec la duchesse. Brano arrivait de Bologne o-- il n'avait rien d,couvert; il n'avait pu trouver Ludovic, que le podestat de Castelnovo avait gard, dans la prison de son village. - Je vais vous renvoyer ... Bologne, dit le comte ... Bruno: la duchesse tiendra au triste plaisir de connaOEtre les d,tails du malheur de Fabrice. Adressez-vous au brigadier de gendarmerie qui commande le poste de Castelnovo... "Mais non! s',cria le comte en s'interrompant partez ... l'instant m^me pour la Lombardie, et distribuez de l'argent et en grande quantit, ... tous nos correspondants. Mon but est d'obtenir de tous ces gens-l... des rapports de la nature la plus encourageante." Bruno ayant bien compris le but de sa mission, se mit ... ,crire ses lettres de cr,ance, comme le comte lui donnait ses derniSres instructions, il re‡ut une lettre parfaitement fausse, mais fort bien ,crite; on e-t dit un ami ,crivant ... son ami pour lui demander un service. L'ami qui ,crivait n',tait autre que le prince. Ayant ou< parler de certains projets de retraite, il suppliait son ami, le comte Mosca, de garder le ministSre, il le lui demandait au nom de l'amiti, et des dangers de la patrie; et le lui ordonnait comme son maOEtre. Il ajoutait que le roi de*** venant de mettre ... sa disposition deux cordons de son ordre, il en gardait un pour lui, et envoyait l'autre ... son cher comte Mosca. - Cet animal-l... fait mon malheur! s',cria le comte furieux, devant Bruno stup,fait, et croit me s,duire par ces m^mes phrases hypocrites que tant de fois nous avons arrang,es ensemble pour prendre ... la glu quelque sot. Il refusa l'ordre qu'on lui offrait, et dans sa r,ponse parla de l',tat de sa sant, comme ne lui laissant que bien peu d'esp,rance de pouvoir s'acquitter encore des p,nibles travaux du ministSre. Le comte ,tait furieux. Un instant aprSs, on annon‡a le fiscal Rassi, qu'il traita comme un nSgre. - Eh bien! parce que je vous ai fait noble, vous commencez ... faire l'insolent! Pourquoi n'^tre pas venu hier pour me remercier, comme c',tait votre devoir ,troit, monsieur le cuistre? Le Rassi ,tait bien au-dessus des injures; c',tait sur ce ton-l... qu'il ,tait journellement re‡u par le prince; mais il voulait ^tre baron et se justifia avec esprit. Rien n',tait plus facile. - Le prince m'a tenu clou, ... une table hier toute la journ,e; je n'ai pu sortir du palais. Son Altesse m'a fait copier de ma mauvaise ,criture de procureur une quantit, de piSces diplomatiques tellement niaises et tellement bavardes que je crois, en v,rit,, que son but unique ,tait de me retenir prisonnier. Quand enfin j'ai pu prendre cong,, vers les cinq heures, mourant de faim, il m'a donn, l'ordre d'aller chez moi directement, et de n'en pas sortir de la soir,e. En effet, j'ai vu deux de ses espions particuliers, de moi bien connus, se promener dans ma rue jusque sur le minuit. Ce matin, dSs que je l'ai pu, j'ai fait venir une voiture qui m'a conduit jusqu'... la porte de la cath,drale. Je suis descendu de voiture trSs lentement, puis, prenant le pas de course, j'ai travers, l',glise et me voici. Votre Excellence est dans ce moment-ci l'homme du monde auquel je d,sire plaire avec le plus de passion. - Et moi, monsieur le dr"le, je ne suis point dupe de tous ces contes plus ou moins bien bftis! Vous avez refus, de me parler de Fabrice avant-hier; j'ai respect, vos scrupules, et vos serments touchant le secret, quoique les serments pour un ^tre tel que vous ne soient tout au plus que des moyens de d,faite. Aujourd'hui, je veux la v,rit,: Qu'est-ce que ces bruits ridicules qui font condamner ... mort ce jeune homme comme assassin du com,dien Giletti? - Personne ne peut mieux rendre compte ... Votre Excellence de ces bruits, puisque c'est moi-m^me qui les ai fait courir par ordre du souverain; et, j'y pense! c'est peut-^tre pour m'emp^cher de vous faire part de cet incident qu'hier, toute la journ,e, il m'a retenu prisonnier. Le prince, qui ne me croit pas un fou, ne pouvait pas douter que je ne vinsse vous apporter ma croix et vous supplier de l'attacher ... ma boutonniSre. - Au fait! s',cria le ministre, et pas de phrases. - Sans doute le prince voudrait bien tenir une sentence de mort contre M. del Dongo, mais il n'a, comme vous le savez sans doute, qu'une condamnation en vingt ann,es de fers, commu,e par lui, le lendemain m^me de la sentence, en douze ann,es de forteresse avec je-ne au pain et ... l'eau tous les vendredis, et autres bamboches religieuses. - C'est parce que je savais cette condamnation ... la prison seulement, que j',tais effray, des bruits d'ex,cution prochaine qui se r,pandent par la ville; je me souviens de la mort du comte Palanza, si bien escamot,e par vous. - C'est alors que j'aurais d- avoir la croix! s',cria Rassi sans se d,concerter; il fallait serrer le bouton tandis que je le tenais, et que l'homme avait envie de cette mort. Je fus un nigaud alors, et c'est arm, de cette exp,rience que j'ose vous conseiller de ne pas m'imiter aujourd'hui. (Cette comparaison parut du plus mauvais go-t ... l'interlocuteur, qui fut oblig, de se retenir pour ne pas donner des coups de pied ... Rassi.) - D'abord, reprit celui-ci avec la logique d'un jurisconsulte et l'assurance parfaite d'un homme qu'aucune insulte ne peut offenser, d'abord il ne peut ^tre question de l'ex,cution dudit del Dongo; le prince n'oserait! les temps sont bien chang,s! et enfin, moi, noble et esp,rant par vous de devenir baron, je n'y donnerais pas les mains. Or, ce n'est que de moi, comme le sait Votre Excellence, que l'ex,cuteur des hautes ouvres peut recevoir des ordres, et, je vous le jure, le chevalier Rassi n'en donnera jamais contre le sieur del Dongo. - Et vous ferez sagement, dit le comte en le toisant d'un air s,vSre. - Distinguons! reprit le Rassi avec un sourire. Moi je ne suis que pour les morts officielles, et si M. del Dongo vient ... mourir d'une colique, n'allez pas me l'attribuer! Le prince est outr,, et je ne sais pourquoi, contre la Sanseverina (trois jours auparavant le Rassi e-t dit la duchesse, mais, comme toute la ville, il savait la rupture avec le premier ministre). Le comte fut frapp, de la suppression du titre dans une telle bouche, et l'on peut juger du plaisir qu'elle lui fit; il lan‡a au Rassi un regard charge de la plus vive haine."Mon cher ange! se dit-il ensuite, je ne puis te montrer mon amour qu'en ob,issant aveugl,ment ... tes ordres." - Je vous avouerai, dit-il au fiscal, que je ne prends pas un int,r^t bien passionn, aux divers caprices de Mme la duchesse; toutefois, comme elle m'avait pr,sent, ce mauvais sujet de Fabrice, qui aurait bien d- rester ... Naples, et ne pas venir ici embrouiller nos affaires, je tiens ... ce qu'il ne soit pas mis ... mort de mon temps, et je veux bien vous donner ma parole que vous serez baron dans les huit jours qui suivront sa sortie de prison. - En ce cas, monsieur le comte, je ne serai baron que dans douze ann,es r,volues, car le prince est furieux, et sa haine contre la duchesse est tellement vive, qu'il cherche ... la cacher. - Son Altesse est bien bonne! qu'a-t-elle besoin de cacher sa haine, puisque son premier ministre ne protSge plus la duchesse? Seulement je ne veux pas qu'on puisse m'accuser de vilenie ni surtout de jalousie: c'est moi qui ai fait venir la duchesse en ce pays, et si Fabrice meurt en prison, vous ne serez pas baron, mais vous serez peut-^tre poignard,. Mais laissons cette bagatelle: le fait est que j'ai fait le compte de ma fortune; ... peine si j'ai trouv, vingt mille livres de rente, sur quoi j'ai le projet d'adresser trSs humblement ma d,mission au souverain. J'ai quelque espoir d'^tre employ, par le roi de Naples: cette grande ville m'offrira des distractions dont j'ai besoin en ce moment, et que je ne puis trouver dans un trou tel que Parme; je ne resterais qu'autant que vous me feriez obtenir la main de la princesse Isota, etc. La conversation fut infinie dans ce sens. Comme Rassi se levait, le comte lui dit d'un air fort indiff,rent: - Vous savez qu'on a dit que Fabrice me trompait, en ce sens qu'il ,tait un des amants de la duchesse; je n'accepte point ce bruit, et pour le d,mentir, je veux que vous fassiez passer cette bourse ... Fabrice. - Mais, monsieur le comte, dit Rassi effray,, et regardant la bourse, il y a l... une somme ,norme, et les rSglements... - Pour vous, mon cher, elle peut ^tre ,norme reprit le comte de l'air du plus souverain m,pris un bourgeois tel que vous, envoyant de l'argent ... son ami en prison, croit se ruiner en lui donnant dix sequins: moi, je veux que Fabrice re‡oive ces six mille francs, et surtout que le chfteau ne sache rien de cet envoi. Comme le Rassi effray, voulait r,pliquer, le comte ferma la porte sur lui avec impatience."Ces gens-l..., se dit-il, ne voient le pouvoir que derriSre l'insolence."Cela dit, ce grand ministre se livra ... une action tellement ridicule, que nous avons quelque peine ... la rapporter; il courut prendre dans son bureau un portrait en miniature de la duchesse, et le couvrit de baisers passionn,s."Pardon, mon cher ange, s',criait-il, si je n'ai pas jet, par la fen^tre et de mes propres mains ce cuistre qui ose parler de toi avec une nuance de familiarit,, mais, si j'agis avec cet excSs de patience, c'est pour t'ob,ir! et il ne perdra rien pour attendre!" AprSs une longue conversation avec le portrait, le comte, qui se sentait le coeur mort dans la poitrine, eut l'id,e d'une action ridicule et s'y livra avec un empressement d'enfant. Il se fit donner un habit avec des plaques, et fut faire une visite ... la vieille princesse Isota; de la vie il ne s',tait pr,sent, chez elle qu'... l'occasion du jour de l'an. Il la trouva entour,e d'une quantit, de chiens, et par,e de tous ses atours, et m^me avec des diamants comme si elle allait ... la cour. Le comte, ayant t,moign, quelque crainte de d,ranger les projets de Son Altesse, qui probablement allait sortir, l'Altesse r,pondit au ministre qu'une princesse de Parme se devait ... elle-m^me d'^tre toujours ainsi. Pour la premiSre fois depuis son malheur le comte eut un mouvement de gaiet,."J'ai bien fait de paraOEtre ici, se dit-il, et dSs aujourd'hui il faut faire ma d,claration."La princesse avait ,t, ravie de voir arriver chez elle un homme aussi renomm, par son esprit et un premier ministre; la pauvre vieille fille n',tait guSre accoutum,e ... de semblables visites. Le comte commen‡a par une pr,face adroite, relative ... l'immense distance qui s,parera toujours d'un simple gentilhomme les membres d'une famille r,gnante. - Il faut faire une distinction, dit la princesse: la fille d'un roi de France, par exemple, n'a aucun espoir d'arriver jamais ... la couronne; mais les choses ne vont point ainsi dans la famille de Parme. C'est pourquoi nous autres FarnSse nous devons toujours conserver une certaine dignit, dans notre ext,rieur; et moi, pauvre princesse telle que vous me voyez, je ne puis pas dire qu'il soit absolument impossible qu'un jour vous soyez mon premier ministre. Cette id,e par son impr,vu baroque donna au pauvre comte un second instant de gaiet, parfaite. Au sortir de chez la princesse Isota, qui avait grandement rougi en recevant l'aveu de la passion du premier ministre, celui-ci rencontra un des fourriers du palais: le prince le faisait demander en toute hfte. - Je suis malade, r,pondit le ministre, ravi de pouvoir faire une malhonn^tet, ... son prince. "Ah! ah! vous me poussez ... bout, s',cria-t-il avec fureur, et puis vous voulez que je vous serve! mais sachez, mon prince, qu'avoir re‡u le pouvoir de la Providence ne suffit plus en ce siScle-ci, il faut beaucoup d'esprit et un grand caractSre pour r,ussir ... ^tre despote." AprSs avoir renvoy, le fourrier du palais fort scandalis, de la parfaite sant, de ce malade, le comte trouva plaisant d'aller voir les deux hommes de la cour qui avaient le plus d'influence sur le g,n,ral Fabio Conti. Ce qui surtout faisait fr,mir le ministre et lui "tait tout courage, c'est que le gouverneur de la citadelle ,tait accus, de s'^tre d,fait jadis d'un capitaine, son ennemi personnel, au moyen de l'aquetta de P,rouse. Le comte savait que depuis huit jours la duchesse avait r,pandu des sommes folles pour se m,nager des intelligences ... la citadelle, mais, suivant lui, il y avait peu d'espoir de succSs, tous les yeux ,taient encore trop ouverts. Nous ne raconterons point au lecteur toutes les tentatives de corruption essay,es par cette femme malheureuse: elle ,tait au d,sespoir, et des agents de toute sorte et parfaitement d,vou,s la secondaient. Mais il n'est peut-^tre qu'un seul genre d'affaires dont on s'acquitte parfaitement bien dans les petites cours despotiques, c'est la garde des prisonniers politiques. L'or de la duchesse ne produisit d'autre effet que de faire renvoyer de la citadelle huit ou dix hommes de tout grade. CHAPITRE XVIII Ainsi, avec un d,vouement complet pour le prisonnier, la duchesse et le premier ministre n'avaient pu faire pour lui que bien peu de chose. Le prince ,tait en colSre, la cour ainsi que le public ,taient piqu,s contre Fabrice et ravis de lui voir arriver malheur; il avait ,t, trop heureux. Malgr, l'or jet, ... pleines mains, la duchesse n'avait pu faire un pas dans le siSge de la citadelle; il ne se passait pas de jour sans que la marquise Raversi ou le chevalier Riscara eussent quelque nouvel avis ... communiquer au g,n,ral Fabio Conti. On soutenait sa faiblesse. Comme nous l'avons dit, le jour de son emprisonnement Fabrice fut conduit d'abord au palais du gouverneur: C'est un joli petit bftiment construit dans le siScle dernier sur les dessins de Vanvitelli, qui le pla‡a ... cent quatre-vingts pieds de haut, sur la plate-forme de l'immense tour ronde. Des fen^tres de ce petit palais, isol, sur le dos de l',norme tour comme la bosse d'un chameau, Fabrice d,couvrait la campagne et les Alpes fort au loin; il suivait de l'oeil, au pied de la citadelle, le coeurs de la Parma, sorte de torrent, qui, tournant ... droite ... quatre lieues de la ville, va se jeter dans le P". Par-del... la rive gauche de ce fleuve, qui formait comme une suite d'immenses taches blanches au milieu des campagnes verdoyantes, son oeil ravi apercevait distinctement chacun des sommets de l'immense mur que les Alpes forment au nord de l'Italie'. Ces sommets, toujours couverts de neige, m^me au mois d'ao-t o-- l'on ,tait alors, donnent comme une sorte de fraOEcheur par souvenir au milieu de ces campagnes br-lantes, l'oeil en peut suivre les moindres d,tails, et pourtant ils sont ... plus de trente lieues de la citadelle de Parme. La vue si ,tendue du joli palais du gouverneur est intercept,e vers un angle au midi par la tour FarnSse, dans laquelle on pr,parait ... la hfte une chambre pour Fabrice. Cette seconde tour, comme le lecteur s'en souvient peut-^tre, fut ,lev,e sur la plate-forme de la grosse tour, en l'honneur d'un prince h,r,ditaire qui, fort diff,rent de l'Hippolyte fils de Th,s,e, n'avait point repouss, les politesses d'une jeune belle-mSre. La princesse mourut en quelques heures; le fils du prince ne recouvra sa libert, que dix-sept ans plus tard en montant sur le tr"ne ... la mort de son pSre. Cette tour FarnSse o--, aprSs trois quarts d'heure, l'on fit monter Fabrice, fort laide ... l'ext,rieur, est ,lev,e d'une cinquantaine de pieds au-dessus de la plate-forme de la grosse tour et garnie d'une quantit, de paratonnerres. Le prince m,content de sa femme, qui fit bftir cette prison aper‡ue de toutes parts, eut la singuliSre pr,tention de persuader ... ses sujets qu'elle existait depuis de longues ann,es: c'est pourquoi il lui imposa le nom de tour FarnSse. Il ,tait d,fendu de parler de cette construction, et de toutes les parties de la ville de Parme et des plaines voisines on voyait parfaitement les ma‡ons placer chacune des pierres qui composent cet ,difice pentagone. Afin de prouver qu'elle ,tait ancienne, on pla‡a au-dessus de la porte de deux pieds de large et de quatre de hauteur, par laquelle on y entre, un magnifique bas-relief qui repr,sente Alexandre FarnSse, le g,n,ral c,lSbre, for‡ant Henri IV ... s',loigner de Paris. Cette tour FarnSse plac,e en si belle vue se compose d'un rez-de-chauss,e long de quarante pas au moins, large ... proportion et tout rempli de colonnes fort trapues, car cette piSce si d,mesur,ment vaste n'a pas plus de quinze pieds d',l,vation. Elle est occup,e par le corps de garde, et, du centre, l'escalier s',lSve en tournant autour d'une des colonnes: c'est un petit escalier en fer, fort l,ger, large de deux pieds ... peine et construit en filigrane. Par cet escalier tremblant sous le poids des ge"liers qui l'escortaient, Fabrice arriva ... de vastes piSces de plus de vingt pieds de haut, formant un magnifique premier ,tage. Elles furent jadis meubl,es avec le plus grand luxe pour le jeune prince qui y passa les dix-sept plus belles ann,es de sa vie. A l'une des extr,mit,s de cet appartement, on fit voir au nouveau prisonnier une chapelle de la plus grande magnificence; les murs de la vo-te sont entiSrement rev^tus de marbre noir; des colonnes noires aussi et de la plus noble proportion sont plac,es en lignes le long des murs noirs, sans les toucher, et ces murs sont orn,s d'une quantit, de t^tes de morts en marbre blanc de proportions colossales, ,l,gamment sculpt,es et plac,es sur deux os en sautoir."Voil... bien une invention de la haine qui ne peut tuer, se dit Fabrice, et quelle diable d'id,e de me montrer cela!" Un escalier de fer et en filigrane fort l,ger, ,galement dispos, autour d'une colonne, donne accSs au second ,tage de cette prison, et c'est dans les chambres de ce second ,tage, hautes de quinze pieds environ, que depuis un an le g,n,ral Fabio Conti faisait preuve de g,nie. D'abord, sous sa direction, l'on avait solidement grill, les fen^tres de ces chambres jadis occup,es par les domestiques du prince, et qui sont ... plus de trente pieds des dalles de pierre formant la plate-forme de la grosse tour ronde. C'est par un corridor obscur plac, au centre du bftiment que l'on arrive ... ces chambres, qui toutes ont deux fen^tres; et dans ce corridor fort ,troit, Fabrice remarqua trois portes de fer successives form,es de barreaux ,normes et s',levant jusqu'... la vo-te. Ce sont les plans, coupes et ,l,vations de toutes ces belles inventions, qui pendant deux ans avaient valu au g,n,ral une audience de son maOEtre chaque semaine. Un conspirateur plac, dans l'une de ces chambres ne pourrait pas se plaindre ... l'opinion d'^tre trait, d'une fa‡on inhumaine, et pourtant ne saurait avoir de communication avec personne au monde, ni faire un mouvement sans qu'on l'entendOEt. Le g,n,ral avait fait placer dans chaque chambre de gros madriers de ch^ne formant comme des bancs de trois pieds de haut, et c',tait l... son invention capitale, celle qui lui donnait des droits au MinistSre de la police. Sur ces bancs il avait fait ,tablir une cabane en planches, fort sonore, haute de dix pieds, et qui ne touchait au mur que du c"t, des fen^tres. Des trois autres c"t,s il r,gnait un petit corridor de quatre pieds de large, entre le mur primitif de la prison, compos, d',normes pierres de taille, et les parois en planches de la cabane. Ces parois, form,es de quatre doubles de planches de noyer, ch^ne et sapin, ,taient solidement reli,es par des boulons de fer et par des clous sans nombre. Ce fut dans l'une de ces chambres construites depuis un an. et chef-d'oeuvre du g,n,ral Fabio Conti, laquelle avait re‡u le beau nom d'Ob,issance passive, que Fabrice fut introduit. Il courut aux fen^tres; la vue qu'on avait de ces fen^tres grill,es ,tait sublime: un seul petit coin de l'horizon ,tait cach,, vers le nord-ouest, par le toit en galerie du joli palais du gouverneur, qui n'avait que deux ,tages; le rez-de-chauss,e ,tait occup, par les bureaux de l',tat-major; et d'abord les yeux de Fabrice furent attir,s vers une des fen^tres du second ,tage, o-- se trouvaient, dans de jolies cages, une grande quantit, d'oiseaux de toute sorte. Fabrice s'amusait ... les entendre chanter, et ... les voir saluer les derniers rayons du cr,puscule du soir, tandis que les ge"liers s'agitaient autour de lui. Cette fen^tre de la voliSre n',tait pas ... plus de vingt-cinq pieds de l'une des siennes, et se trouvait ... cinq ou six pieds en contrebas, de fa‡on qu'il plongeait sur les oiseaux. Il y avait lune ce jour-l..., et au moment o-- Fabrice entrait dans sa prison, elle se levait majestueusement ... l'horizon ... droite, au-dessus de la chaOEne des Alpes, vers Tr,vise. Il n',tait que huit heures et demie du soir, et ... l'autre extr,mit, de l'horizon, au couchant, un brillant cr,puscule rouge orang, dessinait parfaitement les contours du mont Viso et des autres pics des Alpes qui remontent de Nice vers le Mont-Cenis et Turin sans songer autrement ... son malheur, Fabrice fut ,mu et ravi par ce spectacle sublime."C'est donc dans ce monde ravissant que vit Cl,lia Conti! avec son fme pensive et s,rieuse, elle doit jouir de cette vue plus qu'un autre; on est ici comme dans des montagnes solitaires ... cent lieues de Parme."Ce ne fut qu'aprSs avoir pass, plus de deux heures ... la fen^tre, admirant cet horizon qui parlait ... son fme, et souvent aussi arr^tant sa vue sur le joli palais du gouverneur que Fabrice s',cria tout ... coup: "Mais ceci est-il une prison? est-ce l... ce que j'ai tant redout,?"Au lieu d'apercevoir ... chaque pas des d,sagr,ments et des motifs d'aigreur, notre h,ros se laissait charmer par les douceurs de la prison. Tout ... coup son attention fut violemment rappel,e ... la r,alit, par un tapage ,pouvantable: sa chambre de bois, assez semblable ... une cage et surtout fort sonore, ,tait violemment ,branl,e; des aboiements de chien et de petits cris aigus compl,taient le bruit le plus singulier'."Quoi donc! si t"t pourrais-je m',chapper!"pensa Fabrice. Un instant aprSs, il riait comme jamais peut-^tre on n'a ri dans une prison. Par ordre du g,n,ral, on avait fait monter en m^me temps que les ge"liers un chien anglais, fort m,chant, pr,pos, ... la garde des prisonniers d'importance, et qui devait passer la nuit dans l'espace si ing,nieusement m,nag, tout autour de Fabrice. Le chien et le ge"lier devaient coucher dans l'intervalle de trois pieds m,nag, entre les dalles de pierre du sol primitif de la chambre et le plancher de bois sur lequel le prisonnier ne pouvait faire un pas sans ^tre entendu. Or, ... l'arriv,e de Fabrice, la chambre de l'Ob,issance passive se trouvait occup,e par une centaine de rats ,normes qui prirent la fuite dans tous les sens. Le chien, sorte d',pagneul crois, avec un fox anglais, n',tait point beau, mais en revanche il se montra fort alerte. On l'avait attach, sur le pav, en dalles de pierre au-dessous du plancher de la chambre de bois, mais lorsqu'il sentit passer les rats tout prSs de lui il fit des efforts si extraordinaires qu'il parvint ... retirer la t^te de son collier; alors advint cette bataille admirable et dont le tapage r,veilla Fabrice lanc, dans les r^veries les moins tristes. Les rats qui avaient pu se sauver du premier coup de dent, se r,fugiant dans la chambre de bois, le chien monta aprSs eux les six marches qui conduisaient du pav, en pierre ... la cabane de Fabrice. Alors commen‡a un tapage bien autrement ,pouvantable: la cabane ,tait ,branl,e jusqu'en ses fondements. Fabrice riait comme un fou et pleurait ... force de rire : le ge"lier Grillo, non moins riant, avait ferm, la porte; le chien, courant aprSs les rats, n',tait g^n, par aucun meuble, car la chambre ,tait absolument nue; il n'y avait pour g^ner les bonds du chien chasseur qu'un po^le de fer dans un coin. Quand le chien eut triomph, de tous ses ennemis, Fabrice l'appela, le caressa, r,ussit ... lui plaire: "Si jamais celui-ci me voit sautant pardessus quelque mur, se dit-il, il n'aboiera pas."Mais cette politique raffin,e ,tait une pr,tention de sa part: dans la situation d'esprit o-- il ,tait, il trouvait son bonheur ... jouer avec ce chien. Par une bizarrerie ... laquelle il ne r,fl,chissait point, une secrSte joie r,gnait au fond de son fme. AprSs qu'il se fut bien essouffl, ... courir avec le chien: - Comment vous appelez-vous? dit Fabrice au ge"lier. - Grillo, pour servir Votre Excellence dans tout ce qui est permis par le rSglement. - Eh bien! mon cher Grillo, un nomm, Giletti a voulu m'assassiner au milieu d'un grand chemin, je me suis d,fendu et je l'ai tu,, je le tuerais encore si c',tait ... faire: mais je n'en veux pas moins mener joyeuse vie, tant que je serai votre h"te. Sollicitez l'autorisation de vos chefs et allez demander du linge au palais Sanseverina; de plus achetez-moi force n,bieu d'Asti. C'est un assez bon vin mousseux qu'on fabrique en` Pi,mont dans la patrie d'Alfieri et qui est fort estim, surtout de la classe d'amateurs ... laquelle appartiennent les ge"liers. Huit ou dix de ces messieurs ,taient occup,s ... transporter dans la chambre de bois de Fabrice quelques meubles antiques et fort dor,s que l'on enlevait au premier ,tage dans l'appartement du prince; tous recueillirent religieusement dans leur pens,e le mot en faveur du vin d'Asti. Quoi qu'on p-t faire, l',tablissement de Fabrice pour cette premiSre nuit fut pitoyable; mais il n'eut l'air choqu, que de l'absence d'une bouteille de bon n,bieu. - Celui-l... a l'air d'un bon enfant... dirent les ge"liers en s'en allant... et il n'y a qu'une chose ... d,sirer, c'est que nos messieurs lui laissent passer de l'argent. Quand il fut seul et un peu remis de tout ce tapage: "Est-il possible que ce soit l... la prison, se dit Fabrice en regardant cet immense horizon de Tr,vise au mont Viso, la chaOEne si ,tendue des Alpes, les pics couverts de neige, les ,toiles, etc., et une premiSre nuit en prison encore! Je con‡ois que Cl,lia Conti se plaise dans cette solitude a,rienne; on est ici ... mille lieues au-dessus des petitesses et des m,chancet,s qui nous occupent l...-bas. Si ces oiseaux qui sont l... sous ma fen^tre lui appartiennent, je la verrai... Rougira-t-elle en m'apercevant?"Ce fut en discutant cette grande question que le prisonnier trouva le sommeil ... une heure fort avanc,e de la nuit. DSs le lendemain de cette nuit la premiSre pass,e en prison, et durant laquelle il ne s'impatienta pas une seule fois, Fabrice fut r,duit ... faire la conversation avec Fox le chien anglais; Grillo le ge"lier lui faisait bien toujours des yeux fort aimables, mais un ordre nouveau le rendait muet, et il n'apportait ni linge ni n,bieu. "Verrai-je Cl,lia? se dit Fabrice en s',veillant. Mais ces oiseaux sont-ils ... elle?"Les oiseaux commen‡aient ... jeter des petits cris et ... chanter, et ... cette ,l,vation c',tait le seul bruit qui s'entendOEt dans les airs. Ce fut une sensation pleine de nouveaut, et de plaisir pour Fabrice que ce vaste silence qui r,gnait ... cette hauteur: il ,coutait avec ravissement les petits gazouillements interrompus et si vifs par lesquels ses voisins les oiseaux saluaient le jour."S'ils lui appartiennent elle paraOEtra un instant dans cette chambre, l... sous ma fen^tre", et tout en examinant les immenses chaOEnes des Alpes, vis-...-vis le premier ,tage desquelles la citadelle de Parme semblait s',lever comme un ouvrage avanc,, ses regards revenaient ... chaque instant aux magnifiques cages de citronnier et de bois d'acajou qui, garnies de fils dor,s s',levaient au milieu de la chambre fort claire, servant de voliSre. Ce que Fabrice n'apprit que plus tard, c'est que cette chambre ,tait la seule du second ,tage du palais qui e-t de l'ombre de onze ... quatre; elle ,tait abrit,e par la tour FarnSse. "Quel ne va pas ^tre mon chagrin, se dit Fabrice, si, au lieu de cette physionomie c,leste et pensive que j'attends et qui rougira peut-^tre un peu si elle m'aper‡oit, je vois arriver la grosse figure de quelque femme de chambre bien commune, charg,e par procuration de soigner les oiseaux! Mais si je vois Cl,lia, daignera-t-elle m'apercevoir? Ma foi, il faut faire des indiscr,tions pour ^tre remarqu,; ma situation doit avoir quelques privilSges; d'ailleurs nous sommes tous deux seuls ici et si loin du monde! Je suis un prisonnier, apparemment ce que le g,n,ral Conti et les autres mis,rables de cette espSce appellent un de leurs subordonn,s... Mais elle a tant d'esprit, ou pour mieux dire tant d'fme, comme le suppose le comte, que peut-^tre, ... ce qu'il dit, m,prise-t-elle le m,tier de son pSre, de l... viendrait sa m,lancolie! Noble cause de tristesse! Mais aprSs tout, je ne suis point pr,cis,ment un ,tranger pour elle. Avec quelle grfce pleine de modestie elle m'a salu, hier soir! Je me souviens fort bien que lors de notre rencontre prSs de C"me je lui dis: "Un jour je viendrai voir vos beaux tableaux de Parme, vous souviendrez-vous de ce nom: Fabrice del Dongo?"L'aura-t-elle oubli,? elle ,tait si jeune alors! "Mais ... propos, se dit Fabrice ,tonn, en interrompant tout ... coup le cours de ses pens,es, j'oublie d'^tre en colSre! Serais-je un de ces grands courages comme l'antiquit, en a montr, quelques exemples au monde? Suis-je un h,ros sans m'en douter? Comment! moi qui avais tant de peur de la prison, j'y suis, et je ne me souviens pas d'^tre triste! c'est bien le cas de dire que la peur a ,t, cent fois pire que le mal. Quoi! j'ai besoin de me raisonner pour ^tre afflig, de cette prison, qui, comme le dit BlanSs, peut durer dix ans comme dix mois? Serait-ce l',tonnement de tout ce nouvel ,tablissement qui me distrait de la peine que je devrais ,prouver? Peut-^tre que cette bonne humeur ind,pendante de ma volont, et peu raisonnable cessera tout ... coup, peut-^tre en un instant je tomberai dans le noir malheur que je devrais ,prouver. "Dans tous les cas, il est bien ,tonnant d'^tre en prison et de devoir se raisonner pour ^tre triste! Ma foi, j'en reviens ... ma supposition, peut-^tre que j'ai un grand caractSre." Les r^veries de Fabrice furent interrompues par le menuisier de la citadelle, lequel venait prendre mesure d'abat-jour pour ses fen^tres, c',tait la premiSre fois que cette prison servait, et l'on avait oubli, de la compl,ter en cette partie essentielle. "Ainsi, se dit Fabrice, je vais ^tre priv, de cette vue sublime", et il cherchait ... s'attrister de cette privation. - Mais quoi! s',cria-t-il tout ... coup parlant au menuisier, je ne verrai plus ces jolis oiseaux? - Ah! les oiseaux de Mademoiselle! qu'elle aime tant! dit cet homme avec l'air de la bont, cach,s, ,clips,s, an,antis comme tout le reste. Parler ,tait d,fendu au menuisier tout aussi strictement qu'aux ge"liers, mais cet homme avait piti, de la jeunesse du prisonnier: il lui apprit que ces abat-jour ,normes, plac,s sur l'appui des deux fen^tres, et s',loignant du mur tout en s',levant ne devaient laisser aux d,tenus que la vue du ciel. - On fait cela pour la morale, lui dit-il, afin d'augmenter une tristesse salutaire et l'envie de se corriger dans l'fme des prisonniers; le g,n,ral, ajouta le menuisier, a aussi invent, de leur retirer les vitres, et de les faire remplacer ... leurs fen^tres par du papier huil,. Fabrice aima beaucoup le tour ,pigrammatique de cette conversation, fort rare en Italie. - Je voudrais bien avoir un oiseau pour me d,sennuyer, je les aime ... la folie; achetez-m'en un de la femme de chambre de Mlle Cl,lia Conti. - Quoi! vous la connaissez, s',cria le menuisier, que vous dites si bien son nom? - Qui n'a pas ou< parler de cette beaut, si c,lSbre? Mais j'ai eu l'honneur de la rencontrer plusieurs fois ... la cour. - La pauvre demoiselle s'ennuie bien ici, ajouta le menuisier; elle passe sa vie l... avec ses oiseaux. Ce matin elle vient de faire acheter de beaux orangers que l'on a plac,s par son ordre ... la porte de la tour sous votre fen^tre; sans la corniche vous pourriez les voir. Il y avait dans cette r,ponse des mots bien pr,cieux pour Fabrice, il trouva une fa‡on obligeante de donner quelque argent au menuisier. - Je fais deux fautes ... la fois, lui dit cet homme, je parle ... Votre Excellence et je re‡ois de l'argent. AprSs-demain, en revenant pour les abat-jour, j'aurai un oiseau dans ma poche, et si je ne suis pas seul, je ferai semblant de le laisser envoler; si je puis m^me, je vous apporterai un livre de priSres; vous devez bien souffrir de ne pas pouvoir dire vos offices. "Ainsi, se dit Fabrice, dSs qu'il fut seul, ces oiseaux sont ... elle, mais dans deux jours je ne les verrai plus!"A cette pens,e, ses regards prirent une teinte de malheur. Mais enfin, ... son inexprimable joie, aprSs une si longue attente et tant de regards, vers midi Cl,lia vint soigner ses oiseaux. Fabrice resta immobile et sans respiration, il ,tait debout contre les ,normes barreaux de sa fen^tre et fort prSs. Il remarqua qu'elle ne levait pas les yeux sur lui, mais ses mouvements avaient l'air g^n,, comme ceux de quelqu'un qui se sent regard,. Quand elle l'aurait voulu, la pauvre fille n'aurait pas pu oublier le sourire si fin qu'elle avait vu errer sur les lSvres du prisonnier, la veille, au moment o-- les gendarmes l'emmenaient du corps de garde. Quoique, suivant toute apparence, elle veillft sur ses actions avec le plus grand soin, au moment o-- elle s'approcha de la fen^tre de la voliSre, elle rougit fort sensiblement. La premiSre pens,e de Fabrice, coll, contre les barreaux de fer de sa fen^tre, fut de se livrer ... l'enfantillage de frapper un peu avec la main sur ces barreaux, ce qui produirait un petit bruit; puis la seule id,e de ce manque de d,licatesse lui fit horreur."Je m,riterais que pendant huit jours elle envoyft soigner ses oiseaux par sa femme de chambre."Cette id,e d,licate ne lui f-t point venue ... Naples ou ... Novare. Il la suivait ardemment des yeux: "Certainement, se disait-il, elle va s'en aller sans daigner jeter un regard sur cette pauvre fen^tre, et pourtant elle est bien en face."Mais en revenant du fond de la chambre que Fabrice, grfce ... sa position plus ,lev,e, apercevait fort bien, Cl,lia ne put s'emp^cher de le regarder du haut de l'oeil, tout en marchant, et c'en fut assez pour que Fabrice se cr-t autoris, ... la saluer."Ne sommes-nous pas seuls au monde ici?"se dit-il pour s'en donner le courage. Sur ce salut, la jeune fille resta immobile et baissa les yeux; puis Fabrice les lui vit relever fort lentement; et ,videmment, en faisant effort sur elle-m^me, elle salua le prisonnier avec le mouvement le plus grave et le plus distant, mais elle ne put imposer silence ... ses yeux; sans qu'elle le s-t probablement, ils exprimSrent un instant la piti, la plus vive. Fabrice remarqua qu'elle rougissait tellement que la teinte rose s',tendait rapidement jusque sur le haut des ,paules dont la chaleur venait d',loigner, en arrivant ... la voliSre, un chfle de dentelle noire. Le regard involontaire par lequel Fabrice r,pondit ... son salut redoubla le trouble de la jeune fille."Que cette pauvre femme serait heureuse, se disait-elle en pensant ... la duchesse, si un instant seulement elle pouvait le voir comme je le vois!" Fabrice avait eu quelque l,ger espoir de la saluer de nouveau ... son d,part; mais, pour ,viter cette nouvelle politesse, Cl,lia fit une savante retraite par ,chelons, de cage en cage, comme si, en finissant, elle e-t d- soigner les oiseaux plac,s le plus prSs de la porte. Elle sortit enfin, Fabrice restait immobile ... regarder la porte par laquelle elle venait de disparaOEtre; il ,tait un autre homme. DSs ce moment l'unique objet de ses pens,es fut de savoir comment il pourrait parvenir ... continuer de la voir, m^me quand on aurait pos, cet horrible abat-jour devant la fen^tre qui donnait sur le palais du gouverneur. La veille au soir, avant de se coucher, il s',tait impos, l'ennui fort long de cacher la meilleure partie de l'or qu'il avait, dans plusieurs des trous de rats qui ornaient sa chambre de bois'."Il faut, ce soir, que je cache ma montre. N'aide pas entendu dire qu'avec de la patience et un ressort de montre ,br,ch, on peut couper le bois et m^me le fer? Je pourrai donc scier cet abat-jour."Ce travail de cacher la montre, qui dura deux grandes heures, ne lui sembla point long; il songeait aux diff,rents moyens de parvenir ... son but et ... ce qu'il savait faire en travaux de menuiserie."Si je sais m'y prendre, se disait-il, je pourrai couper bien carr,ment un compartiment de la planche de ch^ne qui formera abat-jour, vers la partie qui reposera sur l'appui de la fen^tre; j'"terai et je remettrai ce morceau suivant les circonstances; je donnerai tout ce que je possSde ... Grillo afin qu'il veuille bien ne pas s'apercevoir de ce petit manSge."Tout le bonheur de Fabrice ,tait d,sormais attach, ... la possibilit, d ex,cuter ce travail, et il ne songeait ... rien autre."Si je parviens seulement ... la voir, je suis heureux... Non pas, se dit-il; il faut aussi qu'elle voie que je la vois."Pendant toute la nuit, il eut la t^te remplie d'inventions de menuiserie, et ne songea peut-^tre pas une seule fois ... la cour de Parme, ... la colSre du prince, etc. Nous avouerons qu'il ne songea pas davantage ... la douleur dans laquelle la duchesse devait ^tre plong,e. Il attendait avec impatience le lendemain, mais le menuisier ne reparut plus: apparemment qu'il passait pour lib,ral dans la prison; on eut besoin d'en envoyer un autre ... mine r,barbative; lequel ne r,pondit jamais que par un grognement de mauvais augure ... toutes les choses agr,ables que l'esprit de Fabrice cherchait ... lui adresser. Quelques-unes des nombreuses tentatives de la duchesse pour lier une correspondance avec Fabrice avaient ,t, d,pist,es par les nombreux agents de la marquise Raversi, et, par elle, le g,n,ral Fabio Conti ,tait journellement averti, effray,, piqu, d'amour-propre. Toutes les huit heures, six soldats de garde se relevaient dans la grande salle aux cent colonnes du rez-de-chauss,e; de plus, le gouverneur ,tablit un ge"lier de garde ... chacune des trois portes de fer successives du corridor, et le pauvre Grillo, le seul qui vOEt le prisonnier, fut condamn, ... ne sortir de la tour FarnSse que tous les huit jours, ce dont il se montra fort contrari,. Il fit sentir son humeur ... Fabrice qui eut le bon esprit de ne r,pondre que par ces mots: "Force n,bieu d'Asti, mon ami"et il lui donna de l'argent. - Eh bien! m^me cela, qui nous console de tous les maux, s',cria Grillo indign,, d'une voix ... peine assez ,lev,e pour ^tre entendu du prisonnier, on nous d,fend de le recevoir et je devrais le refuser, mais je le prends; du reste, argent perdu; je ne puis rien vous dire sur rien. Allez, il faut que vous soyez joliment coupable; toute la citadelle est sens dessus dessous ... cause de vous; les belles men,es de Mme la duchesse ont d,j... fait renvoyer trois d'entre nous. "L'abat-jour sera-t-il pr^t avant midi?"Telle fut la grande question qui fit battre le coeur de Fabrice pendant toute cette longue matin,e; il comptait tous les quarts d'heure qui sonnaient ... l'horloge de la citadelle. Enfin, comme les trois quarts aprSs onze heures sonnaient, l'abat-jour n',tait pas encore arriv,; Cl,lia reparut donnant des soins ... ses oiseaux. La cruelle n,cessit, avait fait faire de si grands pas ... l'audace de Fabrice, et le danger de ne plus la voir lui semblait tellement au-dessus de tout, qu'il osa, en regardant Cl,lia, faire avec le doigt le geste de scier l'abat-jour; il est vrai qu'aussit"t aprSs avoir aper‡u ce geste si s,ditieux en prison, elle salua ... demi, et se retira. "Eh quoi! se dit Fabrice ,tonn,, serait-elle assez d,raisonnable pour voir une familiarit, ridicule dans un geste dict, par la plus imp,rieuse n,cessit,? Je voulais la prier de daigner toujours, en soignant ses oiseaux, regarder quelquefois la fen^tre de la prison, m^me quand elle la trouvera masqu,e par un ,norme volet de bois; je voulais lui indiquer que je ferai tout ce qui est humainement possible pour parvenir ... la voir. Grand Dieu! est-ce qu'elle ne viendra pas demain ... cause de ce geste indiscret?"Cette crainte, qui troubla le sommeil de Fabrice, se v,rifia complStement; le lendemain Cl,lia n'avait pas paru ... trois heures, quand on acheva de poser devant les fen^tres de Fabrice les deux ,normes abat-jour; les diverses piSces en avaient ,t, ,lev,es, ... partir de l'esplanade de la grosse tour, au moyen de cordes et de poulies attach,es par-dehors aux barreaux de fer des fen^tres. Il est vrai que, cach,e derriSre une persienne de son appartement, Cl,lia avait suivi avec angoisse tous les mouvements des ouvriers; elle avait fort bien vu la mortelle inqui,tude de Fabrice, mais n'en avait pas moins eu le courage de tenir la promesse qu'elle s',tait faite. Cl,lia ,tait une petite sectaire de lib,ralisme; dans sa premiSre jeunesse elle avait pris au s,rieux tous les propos de lib,ralisme qu'elle entendait dans la soci,t, de son pSre, lequel ne songeait qu'... se faire une position, elle ,tait partie de l... pour prendre en m,pris et presque en horreur le caractSre flexible du courtisan: de l... son antipathie pour le mariage. Depuis l'arriv,e de Fabrice, elle ,tait bourrel,e de remords: "Voil..., se disait-elle, que mon indigne coeur se met du parti des gens qui veulent trahir mon pSre! il ose me faire le geste de scier une porte!... Mais, se dit-elle aussit"t l'fme navr,e, toute la ville parle de sa mort prochaine! Demain peut ^tre le jour fatal! avec les monstres qui nous gouvernent, quelle chose au monde n'est pas possible! Quelle douceur, quelle s,r,nit, h,ro> D'abord la mSre et le fils se disputSrent la parole pour raconter les d,tails ... la duchesse, qui dans ses r,ponses eut grand soin de ne mettre en avant aucune id,e. Pendant deux mortelles heures les trois acteurs de cette scSne ennuyeuse ne sortirent pas des r"les que nous venons d'indiquer. Le prince alla chercher lui-m^me les deux ,normes portefeuilles que Rassi avait d,pos,s sur son bureau; en sortant du grand cabinet de sa mSre, il trouva toute la cour qui attendait. - Allez-vous-en, laissez-moi tranquille! s',cria-t-il, d'un ton fort impoli et qu'on ne lui avait Jamais vu. Le prince ne voulait pas ^tre aper‡u portant lui-m^me les deux portefeuilles, un prince ne doit rien porter. Les courtisans disparurent en un clin d'oeil. En repassant, le prince ne trouva plus que les valets de chambre qui ,teignaient les bougies; il les renvoya avec fureur, ainsi que le pauvre Fontana, aide de camp de service, qui avait eu la gaucherie de rester, par zSle. - Tout le monde prend ... tfche de m'impatienter ce soir, dit-il avec humeur ... la duchesse, comme il rentrait dans le cabinet. Il lui croyait beaucoup d'esprit et il ,tait furieux de ce qu'elle s'obstinait ,videmment ... ne pas ouvrir un avis. Elle, de son c"t,, ,tait r,solue ... ne rien dire qu'autant qu'on lui demanderait son avis bien express,ment. Il s',coula encore une grosse demi-heure avant que le prince, qui avait le sentiment de sa dignit,, se d,terminft ... lui dire: - Mais madame, vous ne dites rien. - Je suis ici pour servir la princesse, et oublier bien vite ce qu'on dit devant moi. - Eh bien! madame, dit le prince en rougissant beaucoup, je vous ordonne de me donner votre avis. - On punit les crimes pour emp^cher qu'ils ne se renouvellent. Le feu prince a-t-il ,t, empoisonn,? c'est ce qui est fort douteux; a-t-il ,t, empoisonn, par les jacobins? c'est ce que Rassi voudrait bien prouver, car alors il devient pour Votre Altesse un instrument n,cessaire ... tout jamais. Dans ce cas, Votre Altesse, qui commence son rSgne, peut se promettre bien des soir,es comme celle-ci. Vos sujets disent g,n,ralement, ce qui est de toute v,rit,, que Votre Altesse a de la bont, dans le caractSre; tant qu'elle n'aura pas fait pendre quelque lib,ral, elle jouira de cette r,putation, et bien certainement personne ne songera ... lui pr,parer du poison. - Votre conclusion est ,vidente, s',cria la princesse avec humeur; vous ne voulez pas que l'on punisse les assassins de mon mari! - C'est qu'apparemment, madame, je suis li,e ... eux par une tendre amiti,. La duchesse voyait dans les yeux du prince qu'il la croyait parfaitement d'accord avec sa mSre pour lui dicter un plan de conduite. Il y eut entre les deux femmes une succession assez rapide d'aigres reparties, ... la suite desquelles la duchesse protesta qu'elle ne dirait plus une seule parole, et elle fut fidSle ... sa r,solution; mais le prince, aprSs une longue discussion avec sa mSre, lui ordonna de nouveau de dire son avis. - C'est ce que je jure ... Vos Altesses de ne point faire! - Mais c'est un v,ritable enfantillage! s',cria le prince. - Je vous prie de parler, madame la duchesse dit la princesse d'un air digne. - C'est ce dont je vous supplie de me dispenser, madame; mais Votre Altesse, ajouta la duchesse en s'adressant au prince, lit parfaitement le fran‡ais; pour calmer nos esprits agit,s, voudrait-elle nous lire une fable de La Fontaine? La princesse trouva ce nous fort insolent, mais elle eut l'air ... la fois ,tonn, et amus,, quand la grande maOEtresse, qui ,tait all,e du plus grand sang-froid ouvrir la bibliothSque, revint avec un volume des Fables de La Fontaine t; elle le feuilleta quelques instants, puis dit au prince, en le lui pr,sentant: - Je supplie Votre Altesse de lire toute la fable. LE JARDINIER ET SON SEIGNEUR Un amateur de jardinage Demi-bourgeois, demi-manant, Poss,dait en certain village Un jardin assez propre, et le clos attenant. Il avait de plant vif ferm, cette ,tendue: L... croissaient ... plaisir l'oseille et la laitue, De quoi faire ... Margot pour sa f^te un bouquet, Peu de jasmin d'Espagne et force serpolet. Cette f,licit, par un liSvre troubl,e Fit qu'au seigneur du bourg notre homme se plaignit. Ce maudit animal vient prendre sa goul,e Soir et matin, dit-il, et des piSges se rit; Les pierres les bftons y perdent leur cr,dit: Il est sorcier, je crois - Sorcier! je l'en d,fie, Repartit le seigneur: f-t-il diable, Miraut, En d,pit de ses tours, l'attrapera bient"t. Je vous en d,ferai, bonhomme, sur ma vie. - Et quand?- Et dSs demain, sans tarder plus longtemps. La partie ainsi faite, il vient avec ses gens. - Euro..., d,jeunons, dit-il: vos poulets sont-ils tendres? L'embarras des chasseurs succSde au d,jeuner. Chacun s'anime et se pr,pare; Les trompes et les cors font un tel tintamarre Que le bonhomme est ,tonn,. Le pis fut que l'on mit en piteux ,quipage Le pauvre potager. Adieu planches, carreaux; Adieu chicor,e et poireaux; Adieu de quoi mettre au potage. Le bonhomme disait: Ce sont l... jeux de prince. Mais on le laissait dire; et les chiens et les gens Firent plus de d,gft en une heure de temps Que n'en auraient fait en cent ans Tous les liSvres de la province. Petits princes, videz vos d,bats entre vous; De recourir aux rois vous seriez de grands fous. Il ne les faut jamais engager dans vos guerres, Ni les faire entrer sur vos terres. Cette lecture fut suivie d'un long silence. Le prince se promenait dans le cabinet, aprSs ^tre all, lui-m^me remettre le volume ... sa place. - Eh bien! madame, dit la princesse, daignerez-vous parler? - Non pas, certes, madame! tant que Son Altesse ne m'aura pas nomm,e ministre; en parlant ici, je courrais risque de perdre ma place de grande maOEtresse. Nouveau silence d'un gros quart d'heure, enfin la princesse songea au r"le que joua jadis Marie de M,dicis, mSre de Louis XIII: tous les jours pr,c,dents, la grande maOEtresse avait fait lire par la lectrice l'excellente Histoire de Louis XIII, de M. Bazin. La princesse, quoique fort piqu,e, pensa que la duchesse pourrait fort bien quitter le pays et alors Rassi, qui lui faisait une peur affreuse pourrait bien imiter Richelieu et la faire exiler par son fils. Dans ce moment, la princesse e-t donn, tout au monde pour humilier sa grande maOEtresse mais elle ne pouvait: elle se leva, et vint, avec un sourire un peu exag,r,, prendre la main de la duchesse et lui dire: - Allons, madame, prouvez-moi votre amiti, en parlant. - Eh bien! deux mots sans plus: br-ler, dans la chemin,e que voil..., tous les papiers r,unis par cette vipSre de Rassi, et ne jamais lui avouer qu'on les a br-l,s. Elle ajouta tout bas, et d'un air familier, ... l'oreille de la princesse - Rassi peut ^tre Richelieu! - Mais, diable! ces papiers me co-tent plus de quatre-vingt mille francs! s',cria le prince ffch,. - Mon prince r,pliqua la duchesse avec ,nergie, voil... ce qu'il en co-te d'employer des sc,l,rats de basse naissance. Pl-t ... Dieu que vous puissiez perdre un million, et ne jamais pr^ter cr,ance aux bas coquins qui ont emp^ch, votre pSre de dormir pendant les six derniSres ann,es de son rSgne. Le mot basse naissance avait plu extr^mement ... la princesse, qui trouvait que le comte et son amie avaient une estime trop exclusive pour l'esprit, toujours un peu cousin germain du jacobinisme. Durant le court moment de profond silence, rempli par les r,flexions de la princesse, l'horloge du chfteau sonna trois heures. La princesse se leva, fit une profonde r,v,rence ... son fils, et lui dit: - Ma sant, ne me permet pas de prolonger davantage la discussion. Jamais de ministre de basse naissance; vous ne m'"terez pas de l'id,e que votre Rassi vous a vol, la moiti, de l'argent qu'il vous a fait d,penser en espionnage. La princesse prit deux bougies dans les flambeaux et les pla‡a dans la chemin,e, de fa‡on ... ne pas les ,teindre; puis, s'approchant de son fils, elle ajouta: - La fable de La Fontaine l'emporte dans mon esprit, sur le juste d,sir de venger un ,poux. Votre Altesse veut-elle me permettre de br-ler ces ,critures? Le prince restait immobile. "Sa physionomie est vraiment stupide, se dit la duchesse, le comte a raison: le feu prince ne nous e-t pas fait veiller jusqu'... trois heures du matin avant de prendre un parti. >> La princesse, toujours debout, ajouta: - Ce petit procureur serait bien fier, s'il savait que ses paperasses, remplies de mensonges, et arrang,es pour procurer son avancement, ont fait passer la nuit aux deux plus grands personnages de l'Etat. Le prince se jeta sur un des portefeuilles comme un furieux, et en vida tout le contenu dans la chemin,e. La masse des papiers fut sur le point d',touffer les deux bougies; l'appartement se remplit de fum,e. La princesse vit dans les yeux de son fils qu'il ,tait tent, de saisir une carafe et de sauver ces papiers, qui lui co-taient quatre-vingt mille francs. - Ouvrez donc la fen^tre! cria-t-elle ... la duchesse avec humeur. La duchesse se hfta d'ob,ir; aussit"t tous les papiers s'enflammSrent ... la fois, il se fit un grand bruit dans la chemin,e, et bient"t il fut ,vident qu'elle avait pris feu. Le prince avait l'fme petite pour toutes les choses d'argent; il crut voir son palais en flammes, et toutes les richesses qu'il contenait d,truites; il courut ... la fen^tre et appela la garde d'une voix toute chang,e. Les soldats en tumulte ,tant accourus dans la cour ... la voix du prince, il revint prSs de la chemin,e qui attirait l'air de la fen^tre ouverte avec un bruit r,ellement effrayant; il s'impatienta, jura, fit deux ou trois tours dans le cabinet comme un homme hors de lui, et, enfin, sortit en courant. La princesse et sa grande maOEtresse restSrent debout, l'une vis-...-vis de l'autre, et gardant un profond silence. "La colSre va-t-elle recommencer? se dit la duchesse; ma foi, mon procSs est gagn,."Et elle se disposait ... ^tre fort impertinente dans ses r,pliques, quand une pens,e l'illumina; elle vit le second portefeuille intact."Non, mon procSs n'est gagn, qu'... moiti,!"Elle dit ... la princesse, d'un air assez froid: - Madame m'ordonne-t-elle de br-ler le reste de ces papiers? - Et o-- les br-lerez-vous? dit la princesse avec humeur. - Dans la chemin,e du salon; en les y jetant l'un aprSs l'autre, il n'y a pas de danger. La duchesse pla‡a sous son bras le portefeuille regorgeant de papiers, prit une bougie et passa dans le salon voisin. Elle prit le temps de voir que ce portefeuille ,tait celui des d,positions, mit dans son chfle cinq ou six liasses de papier, br-la le reste avec beaucoup de soin, puis disparut sans prendre cong, de la princesse. "Voici une bonne impertinence, se dit-elle en riant; mais elle a failli, par ses affectations de veuve inconsolable, me faire perdre la t^te sur un ,chafaud." En entendant le bruit de la voiture de la duchesse, la princesse fut outr,e de colSre contre sa grande maOEtresse. Malgr, l'heure indue, la duchesse fit appeler le comte; il ,tait au feu du chfteau, mais parut bient"t avec la nouvelle que tout ,tait fini. - Ce petit prince a r,ellement montr, beaucoup de courage, et je lui en ai fait mon compliment avec effusion. - Examinez bien vite ces d,positions, et br-lons-les au plus t"t. Le comte lut et pflit. - Ma foi, ils arrivaient bien prSs de la v,rit,; cette proc,dure est fort adroitement faite, ils sont tout ... fait sur les traces de Ferrante Palla; et, s'il parle, nous avons un r"le difficile. - Mais il ne parlera pas, s',cria la duchesse c'est un homme d'honneur, celui-l...: br-lons, br-lons. - Pas encore. Permettez-moi de prendre les noms de douze ou quinze t,moins dangereux, et que je me permettrai de faire enlever, si jamais le Rassi veut recommencer. - Je rappellerai ... Votre Excellence que le prince a donn, sa parole de ne rien dire ... son ministre de la justice de notre exp,dition nocturne. - Par pusillanimit,, et de peur d'une scSne, il la tiendra. - Maintenant, mon ami, voici une nuit qui avance beaucoup notre mariage; je n'aurais pas voulu vous apporter en dot un procSs criminel, et encore pour un p,ch, que me fit commettre mon int,r^t pour un autre. Le comte ,tait amoureux, lui prit la main, s'exclama; il avait les larmes aux yeux. - Avant de partir, donnez-moi des conseils sur la conduite que je dois tenir avec la princesse; je suis exc,d,e de fatigue, j'ai jou, une heure la com,die sur le th,ftre, et cinq heures dans le cabinet. - Vous vous ^tes assez veng,e des propos aigrelets de la princesse, qui n',taient que de la faiblesse, par l'impertinence de votre sortie. Reprenez demain avec elle sur le ton que vous aviez ce matin; le Rassi n'est pas encore en prison ou exil,, nous n'avons pas encore d,chir, la sentence de Fabrice. "Vous demandiez ... la princesse de prendre une d,cision, ce qui donne toujours de l'humeur aux princes et m^me aux premiers ministres; enfin vous ^tes sa grande maOEtresse, c'est-...-dire sa petite servante. Par un retour, qui est immanquable chez les gens faibles, dans trois jours le Rassi sera plus en faveur que jamais; il va chercher ... faire pendre quelqu'un: tant qu'il n'a pas compromis le prince, il n'est s-r de rien. "Il y a eu un homme bless, ... l'incendie de cette nuit; c'est un tailleur, qui a, ma foi, montr, une intr,pidit, extraordinaire. Demain, je vais engager le prince ... s'appuyer sur mon bras, et ... venir avec moi faire une visite au tailleur, je serai arm, jusqu'aux dents et j'aurai l'oeil au guet; d'ailleurs ce jeune prince n'est point encore ha<. Moi je veux l'accoutumer ... se promener dans les rues c'est un tour que je joue au Rassi, qui certainement va me succ,der, et ne pourra plus permettre de telles imprudences. En revenant de chez le tailleur, je ferai passer le prince devant la statue de son pSre; il remarquera les coups de pierre qui ont cass, le jupon ... la romaine dont le nigaud de statuaire l'a affubl,; et, enfin, le prince aura bien peu d'esprit si de lui-m^me il ne fait pas cette r,flexion: "Voil... ce qu'on gagne ... faire pendre des jacobins."A quoi je r,pliquerai: "Il faut en pendre dix mille ou pas un: la Saint-Barth,lemy a d,truit les protestants en France." "Demain, chSre amie, avant ma promenade, faites-vous annoncer chez le prince, et dites-lui: "Hier soir, j'ai fait auprSs de vous le service de ministre, je vous ai donn, des conseils, et, par vos ordres, j'ai encouru le d,plaisir de la princesse, il faut que vous me payiez."Il s'attendra ... une demande d'argent, et froncera le sourcil, vous le laisserez plong, dans cette id,e malheureuse le plus longtemps que vous pourrez, puis vous direz: "Je prie Votre Altesse d'ordonner que Fabrice soit jug, contradictoirement (ce qui veut dire lui pr,sent) par les douze juges les plus respect,s de vos Etats."Et, sans perdre de temps, vous lui pr,senterez ... signer une petite ordonnance ,crite de votre belle main, et que je vais vous dicter; je vais mettre. bien entendu, la clause que la premiSre sentence est annul,e. A cela, il n'y a qu'une objection; mais, si vous menez l'affaire chaudement, elle ne viendra pas ... l'esprit du prince. Il peut vous dire: "Il faut que Fabrice se constitue prisonnier ... la citadelle."A quoi vous r,pondrez: "Il se constituera prisonnier ... la prison de la ville (vous savez que j'y suis le maOEtre, tous les soirs, votre neveu viendra vous voir)."Si le prince vous r,pond: "Non, sa fuite a ,corn, l'honneur de ma citadelle, et je veux, pour la forme, qu'il rentre dans la chambre o-- il ,tait"vous r,pondrez ... votre tour: "Non, car l... il serait ... la disposition de mon ennemi Rassi."Et, par une de ces phrases de femme que vous savez si bien lancer, vous lui ferez entendre que, pour fl,chir Rassi, vous pourrez bien lui raconter l'auto-da-f, de cette nuit; s'il insiste, vous annoncerez que vous allez passer quinze jours ... votre chfteau de Sacca. "Vous allez faire appeler Fabrice et le consulter sur cette d,marche qui peut le conduire en prison. Pour tout pr,voir, si, pendant qu'il est sous les verrous, Rassi, trop impatient, me fait empoisonner, Fabrice peut courir des dangers. Mais la chose est peu probable; vous savez que j'ai fait venir un cuisinier fran‡ais, qui est le plus gai des hommes, et qui fait des calembours; or, le calembour est incompatible avec l'assassinat. J'ai d,j... dit ... notre ami Fabrice que j'ai retrouv, tous les t,moins de son action belle et courageuse; ce fut ,videmment ce Giletti qui voulut l'assassiner. Je ne vous ai pas parl, de ces t,moins, parce que je voulais vous faire une surprise, mais ce plan a manqu,; le prince n'a pas voulu signer. J'ai dit ... notre Fabrice que, certainement, je lui procurerai une grande place eccl,siastique; mais j'aurai bien de la peine si ses ennemis peuvent objecter en cour de Rome une accusation d'assassinat. "Sentez-vous madame que, s'il n'est pas jug, de la fa‡on la plus solennelle, toute sa vie le nom de Giletti sera d,sagr,able pour lui? Il y aurait une grande pusillanimit, ... ne pas se faire juger, quand on est s-r d'^tre innocent. D'ailleurs, f-t-il coupable, je le ferais acquitter. Quand je lui ai parl,, le bouillant jeune homme ne m'a pas laiss, achever, il a pris l'almanach officiel, et nous avons choisi ensemble les douze juges les plus intSgres et les plus savants; la liste est faite, nous avons effac, six noms, que nous avons remplac,s par six jurisconsultes, mes ennemis personnels, et, comme nous n'avons pu trouver que deux ennemis, nous y avons suppl,, par quatre coquins d,vou,s ... Rassi." Cette proposition du comte inqui,ta mortellement la duchesse, et non sans cause, enfin, elle se rendit ... la raison, et, sous la dict,e du ministre, ,crivit l'ordonnance qui nommait les juges. Le comte ne la quitta qu'... six heures du matin; elle essaya de dormir, mais en vain. A neuf heures, elle d,jeuna avec Fabrice, qu'elle trouva br-lant d'envie d'^tre jug,; ... dix heures, elle ,tait chez la princesse, qui n',tait point visible; ... onze heures elle vit le prince, qui tenait son lever, et qui signa l'ordonnance sans la moindre objection. La duchesse envoya l'ordonnance au comte, et se mit au lit. Il serait peut-^tre plaisant de raconter la fureur de Rassi, quand le comte l'obligea ... contresigner, en pr,sence du prince, l'ordonnance sign,e du matin par celui-ci; mais les ,v,nements nous pressent. Le comte discuta le m,rite de chaque juge, et offrit de changer les noms. Mais le lecteur est peut-^tre un peu las de tous ces d,tails de proc,dure, non moins que de toutes ces intrigues de cour. De tout ceci, on peut tirer cette morale, que l'homme qui approche de la cour compromet son bonheur, s'il est heureux, et, dans tous les cas, fait d,pendre son avenir des intrigues d'une femme de chambre. D'un autre c"t,, en Am,rique, dans la r,publique, il faut s'ennuyer toute la journ,e ... faire une cour s,rieuse aux boutiquiers de la rue, et devenir aussi b^te qu'eux; et l..., pas d'Op,ra. La duchesse, ... son lever du soir, eut un moment de vive inqui,tude: on ne trouvait plus Fabrice; enfin, vers minuit, au spectacle de la cour, elle re‡ut une lettre de lui. Au lieu de se constituer prisonnier ... la prison de la ville, o-- le comte ,tait le maOEtre, il ,tait all, reprendre son ancienne chambre ... la citadelle, trop heureux d'habiter ... quelques pas de Cl,lia. Ce fut un ,v,nement d'une immense cons,quence: en ce lieu il ,tait expos, au poison plus que jamais. Cette folie mit la duchesse au d,sespoir; elle en pardonna la cause, un fol amour pour Cl,lia, parce que d,cid,ment dans quelques jours elle allait ,pouser le riche marquis Crescenzi. Cette folie rendit ... Fabrice toute l'influence qu'il avait eue jadis sur l'fme de la duchesse. "C'est ce maudit papier que je suis all,e faire signer qui lui donnera la mort! Que ces hommes sont fous avec leurs id,es d'honneur! Comme s'il fallait songer ... l'honneur dans les gouvernements absolus, dans les pays o-- un Rassi est ministre de la justice! Il fallait bel et bien accepter la grfce que le prince e-t sign,e tout aussi facilement que la convocation de ce tribunal extraordinaire. Qu'importe, aprSs tout, qu'un homme de la naissance de Fabrice soit plus ou moins accus, d'avoir tu, lui-m^me, et l',p,e au poing, un histrion tel que Giletti!" A peine le billet de Fabrice re‡u, la duchesse courut chez le comte, qu'elle trouva tout pfle. - Grand Dieu! chSre amie, j'ai la main malheureuse avec cet enfant, et vous allez encore m'en vouloir. Je puis vous prouver que j'ai fait venir hier soir le ge"lier de la prison de la ville tous les jours, votre neveu serait venu prendre du th, chez vous. Ce qu'il y a d'affreux, c'est qu'il est impossible ... vous et ... moi de dire au prince que l'on craint le poison, et le poison administr, par Rassi; ce soup‡on lui semblerait le comble de l'immoralit,. Toutefois si vous l'exigez, je suis pr^t ... monter au palais; mais je suis s-r de la r,ponse. Je vais vous dire plus; je vous offre un moyen que je n'emploierais pas pour moi. Depuis que j'ai le pouvoir en ce pays, je n'ai pas fait p,rir un seul homme, et vous savez que je suis tellement nigaud de ce c"t,-l..., que quelquefois, ... la chute du jour, je pense encore ... ces deux espions que je fis fusiller un peu l,gSrement en Espagne. Eh bien! voulez-vous que je vous d,fasse de Rassi? Le danger qu'il fait courir ... Fabrice est sans bornes; il tient l... un moyen s-r de me faire d,guerpir. Cette proposition plut extr^mement ... la duchesse; mais elle ne l'adopta pas. - Je ne veux pas, dit-elle au comte, que, dans notre retraite, sous ce beau ciel de Naples, vous ayez des id,es noires le soir. - Mais, chSre amie, il me semble que nous n'avons que le choix des id,es noires. Que devenez-vous, que deviens-je moi-m^me, si Fabrice est emport, par une maladie? La discussion reprit de plus belle sur cette id,e, et la duchesse la termina par cette phrase: - Rassi doit la vie ... ce que je vous aime mieux que Fabrice; non, je ne veux pas empoisonner toutes les soir,es de la vieillesse que nous allons passer ensemble. La duchesse courut ... la forteresse; le g,n,ral Fabio Conti fut enchant, d'avoir ... lui opposer le texte formel des lois militaires: personne ne peut p,n,trer dans une prison d'Etat sans un ordre sign, du prince. - Mais le marquis Crescenzi et ses musiciens viennent chaque jour ... la citadelle? - C'est que j'ai obtenu pour eux un ordre du prince. La pauvre duchesse ne connaissait pas tous ses malheurs. Le g,n,ral Fabio Conti s',tait regard, comme personnellement d,shonor, par la fuite de Fabrice: lorsqu'il le vit arriver ... la citadelle, il n'e-t pas d- le recevoir, car il n'avait aucun ordre pour cela."Mais, se dit-il, c'est le Ciel qui me l'envoie pour r,parer mon honneur et me sauver du ridicule qui fl,trirait ma carriSre militaire. Il s'agit de ne pas manquer ... l'occasion: sans doute on va l'acquitter, et je n'ai que peu de jours pour me venger." CHAPITRE XXV L'arriv,e de notre h,ros mit Cl,lia au d,sespoir: la pauvre fille, pieuse et sincSre avec elle-m^me, ne pouvait se dissimuler qu'il n'y aurait jamais de bonheur pour elle loin de Fabrice, mais elle avait fait voeu ... la Madone, lors du demi-empoisonnement de son pSre, de faire ... celui-ci le sacrifice d',pouser le marquis Crescenzi. Elle avait fait le voeu de ne jamais revoir Fabrice, et d,j... elle ,tait en proie aux remords les plus affreux, pour l'aveu auquel elle avait ,t, entraOEn,e dans la lettre qu'elle avait ,crite ... Fabrice la veille de sa fuite. Comment peindre ce qui se passa dans ce triste coeur lorsque, occup,e m,lancoliquement ... voir voltiger ses oiseaux, et levant les yeux par habitude et avec tendresse vers la fen^tre de laquelle autrefois Fabrice la regardait, elle l'y vit de nouveau qui la saluait avec un tendre respect. Elle crut ... une vision que le ciel permettait pour la punir; puis l'atroce r,alit, apparut ... sa raison."Ils l'ont repris, se dit-elle, et il est perdu!"Elle se rappelait les propos tenus dans la forteresse aprSs la fuite; les derniers des ge"liers s'estimaient mortellement offens,s. Cl,lia regarda Fabrice, et malgr, elle ce regard peignit en entier la passion qui la mettait au d,sespoir. "Croyez-vous, semblait-elle dire ... Fabrice, que je trouverai le bonheur dans ce palais somptueux qu'on pr,pare pour moi? Mon pSre me r,pSte ... sati,t, que vous ^tes aussi pauvre que nous; mais, grand Dieu! avec quel bonheur je partagerais cette pauvret,! Mais, h,las! nous ne devons jamais nous revoir." Cl,lia n'eut pas la force d'employer les alphabets: en regardant Fabrice elle se trouva mal et tomba sur une chaise ... c"t, de la fen^tre. Sa figure reposait sur l'appui de cette fen^tre; et, comme elle avait voulu le voir jusqu'au dernier moment, son visage ,tait tourn, vers Fabrice, qui pouvait l'apercevoir en entier. Lorsque aprSs quelques instants elle rouvrit les yeux, son premier regard fut pour Fabrice: elle vit des larmes dans ses yeux; mais ces larmes ,taient l'effet de l'extr^me bonheur, il voyait que l'absence ne l'avait point fait oublier. Les deux pauvres jeunes gens restSrent quelque temps comme enchant,s dans la vue l'un de l'autre. Fabrice osa chanter, comme s'il s'accompagnait de la guitare, quelques mots improvis,s et qui disaient: C'est pour vous revoir que je suis revenu en prison; on va me juger. Ces mots semblSrent r,veiller toute la vertu de Cl,lia: elle se leva rapidement, se cacha les yeux et, par les gestes les plus vifs, chercha ... lui exprimer qu'elle ne devait jamais le revoir; elle l'avait promis ... la Madone, et venait de le regarder par oubli. Fabrice osant encore exprimer son amour, Cl,lia s'enfuit indign,e et se jurant ... elle-m^me que jamais elle ne le reverrait, car tels ,taient les termes pr,cis de son voeu ... la Madone: Mes yeux ne le reverront jamais. Elle les avait inscrits dans un petit papier que son oncle Cesare lui avait permis de br-ler sur l'autel au moment de l'offrande tandis qu'il disait la messe. Mais, malgr, tous les serments, la pr,sence de Fabrice dans la tour FarnSse avait rendu ... Cl,lia toutes ses anciennes fa‡ons d'agir. Elle passait ordinairement toutes ses journ,es seule, dans sa chambre. A peine remise du trouble impr,vu o-- l'avait jet,e la vue de Fabrice, elle se mit ... parcourir le palais, et pour ainsi dire ... renouveler connaissance avec tous ses amis subalternes. Une vieille femme trSs bavarde employ,e ... la cuisine lui dit d'un air de mystSre: - Cette fois-ci, le seigneur Fabrice ne sortira pas de la citadelle. - Il ne commettra plus la faute de passer pardessus les murs, dit Cl,lia; mais il sortira par la porte, s'il est acquitt,. - Je dis et je puis dire ... Votre Excellence qu'il ne sortira que les pieds les premiers de la citadelle. Cl,lia pflit extr^mement, ce qui fut remarqu, de la vieille femme, et arr^ta tout court son ,loquence. Elle se dit qu'elle avait commis une imprudence en parlant ainsi devant la fille du gouverneur, dont le devoir allait ^tre de dire ... tout le monde que Fabrice ,tait mort de maladie. En remontant chez elle, Cl,lia rencontra le m,decin de la prison, sorte d'honn^te homme timide qui lui dit d'un air tout effar, que Fabrice ,tait bien malade. Cl,lia pouvait ... peine se soutenir; elle chercha partout son oncle, le bon abb, don Cesare, et enfin le trouva ... la chapelle, o-- il priait avec ferveur; il avait la figure renvers,e. Le dOEner sonna. A table, il n'y eut pas une parole d',chang,e entre les deux frSres; seulement, vers la fin du repas, le g,n,ral adressa quelques mots fort aigres ... son frSre. Celui-ci regarda les domestiques, qui sortirent. - Mon g,n,ral, dit don Cesare au gouverneur, j'ai l'honneur de vous pr,venir que je vais quitter la citadelle: je donne ma d,mission. - Bravo! bravissimo! pour me rendre suspect!... Et la raison, s'il vous plaOEt? - Ma conscience. - Allez, vous n'^tes qu'un calotin! vous ne connaissez rien ... l'honneur. "Fabrice est mort, se dit Cl,lia; on l'a empoisonn, ... dOEner ou c'est pour demain."Elle courut ... la voliSre, r,solue de chanter en s'accompagnant avec le piano."Je me confesserai, se dit-elle, et l'on me pardonnera d'avoir viol, mon voeu pour sauver la vie d'un homme."Quelle ne fut pas sa consternation lorsque, arriv,e ... la voliSre, elle vit que les abat-jour venaient d'^tre remplac,s par des planches attach,es aux barreaux de fer! Eperdue, elle essaya de donner un avis au prisonnier par quelques mots plut"t cri,s que chant,s. Il n'y eut de r,ponse d'aucune sorte; un silence de mort r,gnait d,j... dans la tour FarnSse."Tout est consomm,", se dit-elle. Elle descendit hors d'elle-m^me, puis remonta afin de se munir du peu d'argent qu'elle avait et de petites boucles d'oreilles en diamants; elle prit aussi, en passant, le pain qui restait du dOEner, et qui avait ,t, plac, dans un buffet."S'il vit encore, mon devoir est de le sauver."Elle s'avan‡a d'un air hautain vers la petite porte de la tour; cette porte ,tait ouverte, et l'on venait seulement de placer huit soldats dans la piSce aux colonnes du rez-de-chauss,e. Elle regarda hardiment ces soldats; Cl,lia comptait adresser la parole au sergent qui devait les commander: cet homme ,tait absent. Cl,lia s',lan‡a sur le petit escalier de fer qui tournait en spirale autour d'une colonne; les soldats la regardSrent d'un air fort ,bahi, mais, apparemment ... cause de son chfle de dentelle et de son chapeau, n'osSrent rien lui dire. Au premier ,tage il n'y avait personne; mais, en arrivant au second, ... l'entr,e du corridor qui, si le lecteur s'en souvient, ,tait ferm, par trois portes en barreaux de fer et conduisait ... la chambre de Fabrice, elle trouva un guichetier ... elle inconnu, et qui lui dit d'un air effar,: - Il n'a pas encore dOEn,. - Je le sais bien, dit Cl,lia avec hauteur. Cet homme n'osa l'arr^ter. Vingt pas plus loin, Cl,lia trouva assis sur la premiSre des six marches en bois qui conduisaient ... la chambre de Fabrice un autre guichetier fort fg, et fort rouge qui lui dit r,solument: - Mademoiselle, avez-vous un ordre du gouverneur? - Est-ce que vous ne me connaissez pas? Cl,lia, en ce moment, ,tait anim,e d'une force surnaturelle, elle ,tait hors d'elle-m^me."Je vais sauver mon mari", se disait-elle. Pendant que le vieux guichetier s',criait: a Mais mon devoir ne me permet pas..."Cl,lia montait rapidement les six marches; elle se pr,cipita contre la porte: une clef ,norme ,tait dans la serrure, elle eut besoin de toutes ses forces pour la faire tourner. A ce moment, le vieux guichetier ... demi ivre saisissait le bas de sa robe; elle entra vivement dans la chambre, referma la porte en d,chirant sa robe, et, comme le guichetier la poussait pour entrer aprSs elle, elle la ferma avec un verrou qui se trouvait sous sa main. Elle regarda dans la chambre et vit Fabrice assis devant une fort petite table o-- ,tait son dOEner. Elle se pr,cipita sur la table, la renversa, et, saisissant le bras de Fabrice. lui dit: - As-tu mang,? Ce tutoiement ravit Fabrice. Dans son trouble, Cl,lia oubliait pour la premiSre fois la retenue f,minine, et laissait voir son amour. Fabrice allait commencer ce fatal repas: il la prit dans ses bras et la couvrit de baisers."Ce dOEner ,tait empoisonn,, pensa-t-il: si je lui dis que je n'y ai pas touch,, la religion reprend ses droits et Cl,lia s'enfuit. Si elle me regarde au contraire comme un mourant, j'obtiendrai d'elle qu'elle ne me quitte point. Elle d,sire trouver un moyen de rompre son ex,crable mariage, le hasard nous le pr,sente: les ge"liers vont s'assembler, ils enfonceront la porte, et voici un esclandre tel que peut-^tre le marquis Crescenzi en sera effray,, et le mariage rompu." Pendant l'instant de silence occup, par ces r,flexions, Fabrice sentit que d,j... Cl,lia cherchait ... se d,gager de ses embrassements. - Je ne sens point encore de douleurs, lui dit-il, mais bient"t elles me renverseront ... tes pieds; aide-moi ... mourir. - O mon unique ami! lui dit-elle, je mourrai avec toi. Elle le serrait dans ses bras, comme par un mouvement convulsif. Elle ,tait si belle, ... demi v^tue et dans cet ,tat d'extr^me passion, que Fabrice ne put r,sister ... un mouvement presque involontaire. Aucune r,sistance ne fut oppos,e'. Dans l'enthousiasme de passion et de g,n,rosit, qui suit un bonheur extr^me, il lui dit ,tourdiment: - Il ne faut pas qu'un indigne mensonge vienne souiller les premiers instants de notre bonheur: sans ton courage je ne serais plus qu'un cadavre, ou je me d,battrais contre d'atroces douleurs; mais j'allais commencer ... dOEner lorsque tu es entr,e, et je n'ai point touch, ... ces plats. Fabrice s',tendait sur ces images atroces pour conjurer l'indignation qu'il lisait d,j... dans les yeux de Cl,lia. Elle le regarda quelques instants, combattue par deux sentiments violents et oppos,s, puis elle se jeta dans ses bras. On entendit un grand bruit dans le corridor, on ouvrait et on fermait avec violence les trois portes de fer, on parlait en criant. - Ah! si j'avais des armes! s',cria Fabrice; on me les a fait rendre pour me permettre d'entrer. Sans doute ils viennent pour m'achever! Adieu ma Cl,lia, je b,nis ma mort puisqu'elle a ,t, l'occasion de mon bonheur. Cl,lia l'embrassa et lui donna un petit poignard ... manche d'ivoire, dont la lame n',tait guSre plus longue que celle d'un canif. - Ne te laisse pas tuer, lui dit-elle, et d,fends-toi jusqu'au dernier moment; si mon oncle l'abb, entend le bruit, il a du courage et de la vertu, il te sauvera; je vais leur parler. En disant ces mots elle se pr,cipita vers la porte. - Si tu n'es pas tu,, dit-elle avec exaltation, en tenant le verrou de la porte, et tournant la t^te de son c"t,, laisse-toi mourir de faim plut"t que de toucher ... quoi que ce soit. Porte ce pain toujours sur toi. Le bruit s'approchait, Fabrice la saisit ... bras le corps, prit sa place auprSs de la porte, et ouvrant cette porte avec fureur, il se pr,cipita sur l'escalier de bois de six marches. Il avait ... la main le petit poignard ... manche d'ivoire, et fut sur le point d'en percer le gilet du g,n,ral Fontana, aide de camp du prince, qui recula bien vite, en s',criant tout effray,: - Mais je viens vous sauver, monsieur del Dongo. Fabrice remonta les six marches, dit dans la chambre: - Fontana vient me sauver. Puis, revenant prSs du g,n,ral sur les marches de bois, s'expliqua froidement avec lui. Il le pria fort longuement de lui pardonner un premier mouvement de colSre. - On voulait m'empoisonner; ce dOEner qui est l... devant moi, est empoisonn,; j'ai eu l'esprit de ne pas y toucher, mais je vous avouerai que ce proc,d, m'a choqu,. En vous entendant monter j'ai cru qu'on venait m'achever ... coups de dague... Monsieur le g,n,ral, je vous requiers d ordonner que personne n'entre dans ma chambre: on "terait le poison et notre bon prince doit tout savoir. Le g,n,ral, fort pfle et tout interdit, transmit les ordres indiqu,s par Fabrice aux ge"liers d',lite qui le suivaient: ces gens, tout penauds de voir le poison d,couvert, se hftSrent de descendre; ils prenaient les devants, en apparence pour ne pas arr^ter dans l'escalier si ,troit l'aide de camp du prince, et en effet pour se sauver et disparaOEtre. Au grand ,tonnement du g,n,ral Fontana, Fabrice s'arr^ta un gros quart d'heure au petit escalier de fer au tour de la colon ne du rez-de-chauss,e; il voulait donner le temps ... Cl,lia de se cacher au premier ,tage. C',tait la duchesse qui, aprSs plusieurs d,marches folles, ,tait parvenue ... faire envoyer le g,n,ral Fontana ... la citadelle; elle y r,ussit par hasard. En quittant le comte Mosca aussi alarm, qu'elle, elle avait couru au palais. La princesse, qui avait une r,pugnance marqu,e pour l',nergie, qui lui semblait vulgaire, la crut folle, et ne parut pas du tout dispos,e ... tenter en sa faveur quelque d,marche insolite. La duchesse, hors d'elle-m^me, pleurait ... chaudes larmes, elle ne savait que r,p,ter ... chaque instant: - Mais, madame, dans un quart d'heure Fabrice sera mort par le poison! En voyant le sang-froid parfait de la princesse, la duchesse devint folle de douleur. Elle ne fit point cette r,flexion morale, qui n'e-t pas ,chapp, ... une femme ,lev,e dans une de ces religions du Nord qui admettent l'examen personnel: "J'ai employ, le poison la premiSre, et je p,ris par le poison."En Italie, ces sortes de r,flexions, dans les moments passionn,s, paraissent de l'esprit fort plat, comme ferait ... Paris un calembour en pareille circonstance. La duchesse, au d,sespoir, hasarda d'aller dans le salon o-- se tenait le marquis Crescenzi, de service ce jour-l.... Au retour de la duchesse ... Parme il l'avait remerci,e avec effusion de la place d, chevalier d'honneur ... laquelle, sans elle, il n'e-t jamais pu pr,tendre. Les protestations de d,vouement sans bornes n'avaient pas manqu, de sa part. La duchesse l'aborda par ces mots: - Rassi va faire empoisonner Fabrice qui est ... la citadelle. Prenez dans votre poche du chocolat et une bouteille d'eau que je vais vous donner. Montez ... la citadelle, et donnez-moi la vie en disant au g,n,ral Fabio Conti que vous rompez avec sa fille s'il ne vous permet pas de remettre vous-m^me ... Fabrice cette eau et ce chocolat. Le marquis pflit, et sa physionomie, loin d'^tre anim,e par ces mots, peignit l'embarras le plus plat; il ne pouvait croire ... un crime si ,pouvantable dans une ville aussi morale que Parme, et o-- r,gnait un si grand prince, etc.; et encore, ces platitudes, il les disait lentement. En un mot la duchesse trouva un homme honn^te, mais faible au possible et ne pouvant se d,terminer ... agir. AprSs vingt phrases semblables interrompues par les cris d'impatience de Mme Sanseverina, il tomba sur une id,e excellente: le serment qu'il avait pr^t, comme chevalier d'honneur lui d,fendait de se m^ler de manoeuvres contre le gouvernement. Qui pourrait se figurer l'anxi,t, et le d,sespoir de la duchesse, qui sentait que le temps volait? - Mais, du moins, voyez le gouverneur, dites-lui que je poursuivrai jusqu'aux enfers les assassins de Fabrice!... Le d,sespoir augmentait l',loquence naturelle de la duchesse, mais tout ce feu ne faisait qu'effrayer davantage le marquis et redoubler son irr,solution; au bout d'une heure, il ,tait moins dispos, ... agir qu'au premier moment. Cette femme malheureuse, parvenue aux derniSres limites du d,sespoir, et sentant bien que le gouverneur ne refuserait rien ... un gendre aussi riche, alla jusqu'... se jeter ... ses genoux: alors la pusillanimit, du marquis Crescenzi sembla augmenter encore; lui-m^me, ... la vue de ce spectacle ,trange, craignit d'^tre compromis sans le savoir; mais il arriva une chose singuliSre: le marquis, bon homme au fond, fut touch, des larmes et de la position, ... ses pieds, d'une femme aussi belle et surtout puissante. "Moi-m^me, si noble et si riche, se dit-il, peut-^tre un jour je serai aussi aux genoux de quelque r,publicain!"Le marquis se mit ... pleurer, et enfin il fut convenu que la duchesse, en sa qualit, de grande maOEtresse, le pr,senterait ... la princesse, qui lui donnerait la permission de remettre ... Fabrice un petit panier dont il d,clarerait ignorer le contenu. La veille au soir, avant que la duchesse s-t la folie faite par Fabrice d'aller ... la citadelle, on avait jou, ... la cour une com,die dell'arte; et le prince, qui se r,servait toujours les r"les d'amoureux ... jouer avec la duchesse, avait ,t, tellement passionn, en lui parlant de sa tendresse, qu'il e-t ,t, ridicule, si, en Italie, un homme passionn, ou un prince pouvait l'^tre! Le prince, fort timide, mais toujours prenant fort au s,rieux les choses d'amour, rencontra dans l'un des corridors du chfteau la duchesse qui entraOEnait le marquis Crescenzi, tout troubl,, chez la princesse. Il fut tellement surpris et ,bloui par la beaut, pleine d',motion que le d,sespoir donnait ... la grande maOEtresse, que, pour la premiSre fois de sa vie, il eut du caractSre. D'un geste plus qu'imp,rieux il renvoya le marquis et se mit ... faire une d,claration d'amour dans toutes les rSgles ... la duchesse. Le prince l'avait sans doute arrang,e longtemps ... l'avance, car il y avait des choses assez raisonnables. - Puisque les convenances de mon rang me d,fendent de me donner le supr^me bonheur de vous ,pouser, je vous jurerai sur la sainte hostie consacr,e, de ne jamais me marier sans votre permission par ,crit. Je sens bien, ajoutait-il, que je vous fais perdre la main d'un premier ministre, homme d'esprit et fort aimable; mais enfin il a cinquante-six ans, et moi je n'en ai pas encore vingt-deux. Je croirais vous faire injure et m,riter vos refus si je vous parlais des avantages ,trangers ... l'amour; mais tout ce qui tient ... l'argent dans ma cour parle avec admiration de la preuve d'amour que le comte vous donne, en vous laissant la d,positaire de tout ce qui lui appartient. Je serai trop heureux de l'imiter en ce point. Vous ferez un meilleur usage de ma fortune que moi-m^me, et vous aurez l'entiSre disposition de la somme annuelle que mes ministres remettent ... l'intendant g,n,ral de ma couronne; de fa‡on que ce sera vous, madame la duchesse, qui d,ciderez des sommes que je pourrai d,penser chaque mois. La duchesse trouvait tous ces d,tails bien longs; les dangers de Fabrice lui per‡aient le coeur. - Mais vous ne savez donc pas, mon prince, s',cria-t-elle, qu'en ce moment, on empoisonne Fabrice dans votre citadelle! Sauvez-le! je crois tout. L'arrangement de cette phrase ,tait d'une maladresse complSte. Au seul mot de poison, tout l'abandon, toute la bonne foi que ce pauvre prince moral apportait dans cette conversation disparurent en un clin d'oeil; la duchesse ne s'aper‡ut de cette maladresse que lorsqu'il n',tait plus temps d'y rem,dier, et son d,sespoir fut augment,, chose qu'elle croyait impossible."Si je n'eusse pas parl, de poison, se dit-elle, il m'accordait la libert, de Fabrice. _ cher Fabrice! ajouta-t-elle, il est donc ,crit que c'est moi qui dois te percer le coeur par mes sottises!" La duchesse eut besoin de beaucoup de temps et de coquetteries pour faire revenir le prince ... ses propos d'amour passionn,; mais il resta profond,ment effarouch,. C',tait son esprit seul qui parlait; son fme avait ,t, glac,e par l'id,e du poison d'abord, et ensuite par cette autre id,e, aussi d,sobligeante que la premiSre ,tait terrible: on administre du poison dans mes Etats, et cela sans me le dire! Rassi veut donc me d,shonorer aux yeux de l'Europe! Et Dieu sait ce que je lirai le mois prochain dans les journaux de Paris! Tout ... coup l'fme de ce jeune homme si timide se taisant, son esprit arriva ... une id,e. - ChSre duchesse! vous savez si je vous suis attach,. Vos id,es atroces sur le poison ne sont pas fond,es, j'aime ... le croire; mais enfin elles me donnent aussi ... penser, elles me font presque oublier pour un instant la passion que j'ai pour vous, et qui est la seule que de ma vie j'ai ,prouv,e. Je sens que je ne suis pas aimable; je ne suis qu'un enfant bien amoureux; mais enfin mettez-moi ... l',preuve. Le prince s'animait assez en tenant ce langage. - Sauvez Fabrice, et je crois tout! Sans doute je suis entraOEn,e par les craintes folles d'une fme de mSre, mais envoyez ... l'instant chercher Fabrice ... la citadelle, que je le voie. S'il vit encore envoyez-le du palais ... la prison de la ville, o-- ii restera des mois entiers, si Votre Altesse l'exige, et jusqu'... son jugement. La duchesse vit avec d,sespoir que le prince, au lieu d'accorder d'un mot une chose aussi simple, ,tait devenu sombre; il ,tait fort rouge, il regardait la duchesse, puis baissait les yeux et ses joues pflissaient. L'id,e de poison, mal ... propos mise en avant, lui avait sugg,r, une id,e digne de son pSre ou de Philippe II: mais il n'osait l'exprimer. - Tenez, madame, lui dit-il enfin comme se faisant violence, et d'un ton fort peu gracieux, vous me m,prisez comme un enfant, et de plus, comme un ^tre sans grfces: eh bien! je vais vous dire une chose horrible, mais qui m'est sugg,r,e ... l'instant par la passion profonde et vraie que j'ai pour vous. Si je croyais le moins du monde au poison, j'aurais d,j... agi, mon devoir m'en faisait une loi; mais je ne vois dans votre demande qu'une fantaisie passionn,e, et dont peut-^tre, je vous demande la permission de le dire, je ne vois pas toute la port,e. Vous voulez que j'agisse sans consulter mes ministres, moi qui rSgne depuis trois mois ... peine! vous me demandez une grande exception ... ma fa‡on d'agir ordinaire, et que je crois fort raisonnable, je l'avoue. C'est vous, madame, qui ^tes ici en ce moment le souverain absolu, vous me donnez des esp,rances pour l'int,r^t qui est tout pour moi; mais, dans une heure, lorsque cette imagination de poison, lorsque ce cauchemar aura disparu, ma pr,sence vous deviendra importune, vous me disgracierez, madame. Eh bien! il me faut un serment: jurez, madame, que si Fabrice vous est rendu sain et sauf, j'obtiendrai de vous, d'ici ... trois mois, tout ce que mon amour peut d,sirer de plus heureux; vous assurerez le bonheur de ma vie entiSre en mettant ... ma disposition une heure de la v"tre, et vous serez toute ... moi! En cet instant, l'horloge du chfteau sonna deux heures."Ah! il n'est plus temps peut-^tre", se dit la duchesse. - Je le jure, s',cria-t-elle avec des yeux ,gar,s. Aussit"t le prince devint un autre homme; il courut ... l'extr,mit, de la galerie o-- se trouvait le salon des aides de camp. - G,n,ral Fontana, courez ... la citadelle ventre ... terre, montez aussi vite que possible ... la chambre o-- l'on garde M. del Dongo et amenez-le-moi, il faut que je lui parle dans vingt minutes, et dans quinze s'il est possible. - Ah! g,n,ral, s',cria la duchesse qui avait suivi le prince, une minute peut d,cider de ma vie. Un rapport faux sans doute me fait craindre le poison pour Fabrice: criez-lui dSs que vous serez ... port,e de la voix, de ne pas manger. S'il a touch, ... son repas, faites-le vomir, dites-lui que c'est moi qui le veux, employez la force s'il le faut; dites-lui que je vous suis de bien prSs, et croyez-moi votre oblig,e pour la vie. - Madame la duchesse, mon cheval est sell,, je passe pour savoir manier un cheval, et je cours ventre ... terre, je serai ... la citadelle huit minutes avant vous... - Et moi, madame la duchesse, s',cria le prince, je vous demande quatre de ces huit minutes. L'aide de camp avait disparu, c',tait un homme qui n'avait pas d'autre m,rite que celui de monter ... cheval. A peine eut-il referm, la porte, que le jeune prince, qui semblait avoir du caractSre, saisit la main de la duchesse. - Daignez, madame, lui dit-il avec passion, venir avec moi ... la chapelle. La duchesse, interdite pour la premiSre fois de sa vie, le suivit sans mot dire. Le prince et elle parcoururent en courant toute la longueur de la grande galerie du palais, la chapelle se trouvant ... l'autre extr,mit,. Entr, dans la chapelle, le prince se mit ... genoux, presque autant devant la duchesse que devant l'autel. - R,p,tez le serment, dit-il avec passion; si vous aviez ,t, juste, si cette malheureuse qualit, de prince ne m'e-t pas nui, vous m'eussiez accord, par piti, pour mon amour ce que vous me devez maintenant parce que vous l'avez jur,. - Si je revois Fabrice non empoisonn,, s'il vit encore dans huit jours, si Son Altesse le nomme coadjuteur avec future succession de l'archev^que Landriani, mon honneur, ma dignit, de femme, tout par moi sera foul, aux pieds, et je serai ... Son Altesse. - Mais, chSre amie, dit le prince avec une timide anxi,t, et une tendresse m,lang,es et bien plaisantes, je crains quelque emb-che que je ne comprends pas, et qui pourrait d,truire mon bonheur, j'en mourrais. Si l'archev^que m'oppose quelqu'une de ces raisons eccl,siastiques qui font durer les affaires des ann,es entiSres, qu'est-ce que je deviens? Vous voyez que j'agis avec une entiSre bonne foi; allez-vous ^tre avec moi un petit j,suite? - Non: de bonne foi, si Fabrice est sauv,, si, de tout votre pouvoir, vous le faites coadjuteur et futur archev^que, je me d,shonore et je suis ... vous. "Votre Altesse s'engage ... mettre approuv, en marge d'une demande que Mgr l'archev^que vous pr,sentera d'ici ... huit jours." - Je vous signe un papier en blanc, r,gnez sur moi et sur mes Etats, s',cria le prince rougissant de bonheur et r,ellement hors de lui. Il exigea un second serment. Il ,tait tellement ,mu, qu'il en oubliait la timidit, qui lui ,tait si naturelle, et, dans cette chapelle du palais o-- ils ,taient seuls, il dit ... voix basse ... la duchesse des choses qui, dites trois jours auparavant, auraient chang, l'opinion qu'elle avait de lui. Mais chez elle le d,sespoir que lui causait le danger de Fabrice avait fait place ... l'horreur de la promesse qu'on lui avait arrach,e. La duchesse ,tait boulevers,e de ce qu'elle venait de faire. Si elle ne sentait pas encore toute l'affreuse amertume du mot prononc,, c'est que son attention ,tait occup,e ... savoir si le g,n,ral Fontana pourrait arriver ... temps ... la citadelle. Pour se d,livrer des propos follement tendres de cet enfant et changer un peu le discours, elle loua un tableau c,lSbre du Parmesan, qui ,tait au maOEtre-autel de cette chapelle. - Soyez assez bonne pour me permettre de vous l'envoyer, dit le prince. - J'accepte, reprit la duchesse; mais souffrez que je coure au-devant de Fabrice. D'un air ,gar,, elle dit ... son cocher de mettre ses chevaux au galop. Elle trouva sur le pont du foss, de la citadelle le g,n,ral Fontana et Fabrice qui sortaient ... pied. - As-tu mang,? - Non, par miracle. La duchesse se jeta au cou de Fabrice et tomba dans un ,vanouissement qui dura une heure et donna des craintes d'abord pour sa vie, et ensuite pour sa raison. Le gouverneur Fabio Conti avait pfli de colSre ... la vue du g,n,ral Fontana: il avait apport, de telles lenteurs ... ob,ir ... l'ordre du prince, que l'aide de camp, qui supposait que la duchesse allait occuper la place de maOEtresse r,gnante, avait fini par se ffcher. Le gouverneur comptait faire durer la maladie de Fabrice deux ou trois jours,"et voil..., se disait-il, que le g,n,ral, un homme de la cour, va trouver cet insolent se d,battant dans les douleurs qui me vengent de sa faite". Fabio Conti, tout pensif, s'arr^ta dans le corps de garde du rez-de-chauss,e de la tour FarnSse d'o-- il se hfta de renvoyer les soldats; il ne voulait pas de t,moins ... la scSne qui se pr,parait. Cinq minutes aprSs il fut p,trifi, d',tonnement en entendant parler Fabrice, et le voyant vif et alerte, faire au g,n,ral Fontana la description de la prison. Il disparut. Fabrice se montra un parfait gentleman dans son entrevue avec le prince. D'abord il ne voulut point avoir l'air d'un enfant qui s'effraie ... propos de rien. Le prince lui demandant avec bont, comment il se trouvait: - Comme un homme, Altesse S,r,nissime, qui meurt de faim, n'ayant par bonheur ni d,jeun,, ni dOEn,. AprSs avoir eu l'honneur de remercier le prince, il sollicita la permission de voir l'archev^que avant de se rendre ... la prison de la ville. Le prince ,tait devenu prodigieusement pfle, lorsque arriva dans sa t^te d'enfant l'id,e que le poison n',tait point tout ... fait une chimSre de l'imagination de la duchesse. Absorb, dans cette cruelle pens,e, il ne r,pondit pas d'abord ... la demande de voir l'archev^que, que Fabrice lui adressait, puis il se crut oblig, de r,parer sa distraction par beaucoup de grfces. - Sortez seul, monsieur, allez dans les rues de ma capitale sans aucune garde. Vers les dix ou onze heures vous vous rendrez en prison, o-- j'ai l'espoir que vous ne resterez pas longtemps. Le lendemain de cette grande journ,e, la plus remarquable de sa vie, le prince se croyait un petit Napol,on; il avait lu que ce grand homme avait ,t, bien trait, par plusieurs des jolies femmes de sa cour. Une fois Napol,on par les bonnes fortunes, il se rappela qu'il l'avait ,t, devant les balles. Son coeur ,tait encore tout transport, de la fermet, de sa conduite avec la duchesse. La conscience d'avoir fait quelque chose de difficile en fit un tout autre homme pendant quinze jours; il devint sensible aux raisonnements g,n,raux; il eut quelque caractSre. Il d,buta ce jour-l... par br-ler la patente de comte dress,e en faveur de Rassi, qui ,tait sur son bureau depuis un mois. Il destitua le g,n,ral Fabio Conti, et demanda au colonel Lange', son successeur, la v,rit, sur le poison. Lange, brave militaire polonais, fit peur aux ge"liers, et dit au prince qu'on avait voulu empoisonner le d,jeuner de M. del Dongo; mais il e-t fallu mettre dans la confidence un trop grand nombre de personnes. Les mesures furent mieux prises pour le dOEner; et, sans l'arriv,e du g,n,ral Fontana, M. del Dongo ,tait perdu. Le prince fut constern,; mais, comme il ,tait r,ellement fort amoureux, ce fut une consolation pour lui de pouvoir se dire: "Il se trouve que j'ai r,ellement sauv, la vie ... M. del Dongo, et la duchesse n'osera pas manquer ... la parole qu'elle m'a donn,e."Il arriva ... une autre id,e: "Mon m,tier est bien plus difficile que je ne le pensais; tout le monde convient que la duchesse a infiniment d'esprit, la politique est ici d'accord avec mon coeur. Il serait divin pour moi qu'elle voul-t ^tre mon premier ministre." Le soir, le prince ,tait tellement irrit, des horreurs qu'il avait d,couvertes, qu'il ne voulut pas se m^ler de la com,die. - Je serais trop heureux, dit-il ... la duchesse, si vous vouliez r,gner sur mes Etats comme vous r,gnez sur mon coeur. Pour commencer, je vais vous dire l'emploi de ma journ,e. Alors il lui conta tout fort exactement: la br-lure de la patente de comte de Rassi, la nomination de Lange, son rapport sur l'empoisonnement, etc. - Je me trouve bien peu d'exp,rience pour r,gner. Le comte m'humilie par ses plaisanteries, il plaisante m^me au conseil, et, dans le monde, il tient des propos dont vous allez contester la v,rit,; il dit que je suis un enfant qu'il mSne o-- il veut. Pour ^tre prince, madame, on n'en est pas moins homme, et ces choses-l... ffchent. Afin de donner de l'invraisemblance aux histoires que peut faire M. Mosca, l'on m'a fait appeler au ministSre ce dangereux coquin Rassi, et voil... ce g,n,ral Conti qui le croit encore tellement puissant, qu'il n'ose avouer que c'est lui ou la Raversi qui l'ont engag, ... faire p,rir votre neveu; j'ai bonne envie de renvoyer tout simplement par-devant les tribunaux le g,n,ral Fabio Conti; les juges verront s'il est coupable de tentative d'empoisonnement. - Mais, mon prince, avez-vous des juges? - Comment! dit le prince ,tonn,. - Vous avez des jurisconsultes savants et qui marchent dans la rue d'un air grave; du reste, ils jugeront toujours comme il plaira au parti dominant dans votre coeur. Pendant que le jeune prince, scandalis,, pronon‡ait des phrases qui montraient sa candeur bien plus que sa sagacit,, la duchesse se disait: a Me convient-il bien de laisser d,shonorer Conti? Non, certainement, car alors le mariage de sa fille avec ce plat honn^te homme de marquis Crescenzi devient impossible?" Sur ce sujet, il y eut un dialogue infini entre la duchesse et le prince. Le prince fut ,bloui d'admiration. En faveur du mariage de Cl,lia Conti avec le marquis Crescenzi, mais avec cette condition expresse, par lui d,clar,e avec colSre ... l'ex-gouverneur, il lui fit grfce sur sa tentative d'empoisonnement; mais, par l'avis de la duchesse, il l'exila jusqu'... l',poque du mariage de sa fille. La duchesse croyait n'aimer plus Fabrice d'amour, mais elle d,sirait encore passionn,ment le mariage de Cl,lia Conti avec le marquis; il y avait l... le vague espoir que peu ... peu elle verrait disparaOEtre la pr,occupation de Fabrice. Le prince, transport, de bonheur, voulait, ce soir-l..., destituer avec scandale le ministre Rassi. La duchesse lui dit en riant: - Savez-vous un mot de Napol,on? Un homme plac, dans un lieu ,lev,, et que tout le monde regarde, ne doit point se permettre de mouvements violents. Mais ce soir il est trop tard, renvoyons les affaires ... demain. Elle voulait se donner le temps de consulter le comte, auquel elle raconta fort exactement tout le dialogue de la soir,e, en supprimant, toutefois, les fr,quentes allusions faites par le prince ... une promesse qui empoisonnait sa vie. La duchesse se flattait de se rendre tellement n,cessaire qu'elle pourrait obtenir un ajournement ind,fini en disant au prince: "Si vous avez la barbarie de vouloir me soumettre ... cette humiliation, que je ne vous pardonnerais point, le lendemain je quitte vos Etats." Consult, par la duchesse sur le sort de Rassi, le comte se montra trSs philosophe. Le g,n,ral Fabio Conti et lui allSrent voyager en Pi,mont. Une singuliSre difficult, s',leva pour le procSs de Fabrice: les juges voulaient l'acquitter par acclamation, et dSs la premiSre s,ance. Le comte eut besoin d'employer la menace pour que le procSs durft au moins huit Jours, et que les Juges se donnassent la peine d'entendre tous les t,moins."Ces gens sont toujours les m^mes", se dit-il. Le lendemain de son acquittement, Fabrice del Dongo prit enfin possession de la place de grand vicaire du bon archev^que Landriani. Le m^me jour, le prince signa les d,p^ches n,cessaires pour obtenir que Fabrice f-t nomm, coadjuteur avec future succession, et, moins de deux mois aprSs, il fut install, dans cette place. Tout le monde faisait compliment ... la duchesse sur l'air grave de son neveu; le fait est qu'il ,tait au d,sespoir. DSs le lendemain de sa d,livrance, suivie de la destitution et de l'exil du g,n,ral Fabio Conti, et de la haute faveur de la duchesse, Cl,lia avait pris refuge chez la comtesse Contarini, sa tante, femme fort riche, fort fg,e, et uniquement occup,e des soins de sa sant,. Cl,lia e-t pu voir Fabrice: mais quelqu'un qui e-t connu ses engagements ant,rieurs, et qui l'e-t vue agir maintenant, e-t pu penser qu'avec les dangers de son amant son amour pour lui avait cess,. Non seulement Fabrice passait le plus souvent qu'il le pouvait d,cemment devant le palais Contarini mais encore il avait r,ussi, aprSs des peines infinies, ... louer un petit appartement vis-...-vis les fen^tres du premier ,tage. Une fois, Cl,lia s',tant mise ... la fen^tre ... l',tourdie, pour voir passer une procession, se retira ... l'instant, et comme frapp,e de terreur; elle avait aper‡u Fabrice, v^tu de noir mais comme un ouvrier fort pauvre, qui la regardait d'une des fen^tres de ce taudis qui avait des vitres de papier huil,, comme sa chambre ... la tour FarnSse. Fabrice e-t bien voulu pouvoir se persuader que Cl,lia le fuyait par suite de la disgrfce de son pSre, que la voix publique attribuait ... la duchesse; mais il connaissait trop une autre cause ... cet ,loignement, et rien ne pouvait le distraire de sa m,lancolie. Il n'avait ,t, sensible ni ... son acquittement, ni ... son installation dans de belles fonctions les premiSres qu'il e-t eues ... remplir dans sa vie, ni ... sa belle position dans le monde, ni enfin ... la cour assidue que lui faisaient tous les eccl,siastiques et tous les d,vots du diocSse. Le charmant appartement qu'il avait au palais Sanseverina ne se trouva plus suffisant. A son extr^me plaisir, la duchesse fut oblig,e de lui c,der tout le second ,tage de son palais et deux beaux salons au premier, lesquels ,taient toujours remplis de personnages attendant l'instant de faire leur cour au jeune coadjuteur. La clause de future succession avait produit un effet surprenant dans le pays; on faisait maintenant des vertus ... Fabrice de toutes ces qualit,s fermes de son caractSre, qui autrefois scandalisaient si fort les courtisans pauvres et nigauds. Ce fut une grande le‡on de philosophie pour Fabrice que de se trouver parfaitement insensible ... tous ces honneurs, et beaucoup plus malheureux dans cet appartement magnifique, avec dix laquais portant sa livr,e, qu'il n'avait ,t, dans sa chambre de bois de la tour FarnSse, environn, de hideux ge"liers, et craignant toujours pour sa vie. Sa mSre et sa soeur, la duchesse V..., qui vinrent ... Parme pour le voir dans sa gloire, furent frapp,es de sa profonde tristesse. La marquise del Dongo, maintenant la moins romanesque des femmes, en fut si profond,ment alarm,e, qu'elle crut qu'... la tour FarnSse on lui avait fait prendre quelque poison lent. Malgr, son extr^me discr,tion elle crut devoir lui parler de cette tristesse si extraordinaire, et Fabrice ne r,pondit que par des larmes. Une foule d'avantages, cons,quence de sa brillante position, ne produisaient chez lui d'autre effet que de lui donner de l'humeur. Son frSre cette fme vaniteuse et gangren,e par le plus vii ,go Prof. Hart will answer or forward your message. We would prefer to send you information by email. **The Legal Small Print** (Three Pages) ***START**THE SMALL PRINT!**FOR PUBLIC DOMAIN EBOOKS**START*** Why is this "Small Print!" statement here? You know: lawyers. They tell us you might sue us if there is something wrong with your copy of this eBook, even if you got it for free from someone other than us, and even if what's wrong is not our fault. So, among other things, this "Small Print!" statement disclaims most of our liability to you. It also tells you how you may distribute copies of this eBook if you want to. *BEFORE!* YOU USE OR READ THIS EBOOK By using or reading any part of this PROJECT GUTENBERG-tm eBook, you indicate that you understand, agree to and accept this "Small Print!" statement. 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